2016 Double dose de Loustal
Laurent Raphaël
Rédacteur en chef Focus
12/05/16
Source:
Focus Vif
Loustal réédite sa biographie très libre du saxophoniste Barney Wilen et
signe dans le même temps un polar rêche. Point commun: le goût des belles
images.
Black
Dog
Jean-Claude Götting & Loustal
Les années passent et Loustal reste. Depuis 1980, son trait faussement naïf
rehaussé de couleurs pastels chatoyantes se décline, entre deux récits de
voyage, en albums classieux aux forts effluves cinématographiques. Nouvelle
démonstration avec cette double actualité charriant les alluvions de ses
obsessions artistiques majeures, jazz d'un côté, polar de l'autre.
Réédition d'un titre mythique publié en 1987, Barney et la note bleue
ressemble à un rêve éveillé reformulant dans un langage atmosphérique les
termes du biopic classique. Pour mettre en scène la vie chahutée du
saxophoniste Barney Wilen (1937-1996), Loustal et son complice Paringaux ne
s'engouffrent pas sur la voie à six bandes du récit factuel, ils empruntent
les petites routes sinueuses d'une narration romanesque diluant la vérité
sous serment dans le bouillon charnel du fantasme.
Père américain et mère française, Barney débarque à Paris en 1958 et tape
immédiatement dans l'oreille d'un directeur artistique. Les portes du
swinging Paris semblent s'ouvrir devant lui. Mais la fête va être rapidement
gâchée par un tempérament hiératique et l'arrivée d'une invitée surprise:
l'héroïne. Une compagne envahissante et bientôt destructrice. Un séjour
prématuré aux Etats-Unis où il n'est personne lui coupe définitivement les
ailes. Il décide d'aller se faire oublier en Espagne, gâchant son talent
dans des orchestres pour touristes. Son manager le ramènera en France. Mais
l'inspiration l'a déserté. Et pour remercier son sauveur, il s'enfuit avec
sa femme...
Textes poétiques, cadrages sensuels, clairs-obscurs et fluidité de
l'aquarelle peaufinent une évocation sensorielle de cet ange déchu dont la
carrière en panne sèche a paradoxalement rebondi lors de la publication de
cet hommage. Pour filer le frisson jusqu'au bout, un CD taillé sur mesure et
composé notamment de morceaux du jazzman sert de BO à un album aux reflets
bleutés.
Mauvaises fréquentations
Si les codes du polar imprègnent cette vraie-fausse biographie, ceux du jazz
rythment le crescendo de Black Dog, l'autre plat du jour. Flanqué de Götting,
Loustal y revisite l'âge d'or du thriller américain. Soit l'histoire assez
classique d'un migrant polonais naïf obligé de se compromettre avec un
mafieux et qui finira en kit au pied d'une falaise pour avoir énervé son
nouvel employeur. Passe encore qu'il n'ait pas eu le cran d'exécuter la
cible qu'on lui désignait, ce qui lui coûtera quand même une phalange, mais
pas qu'il donne l'impression de céder aux avances de la femme oisive et
nymphomane du boss. Piscine, cynisme, flic têtu, torpeur et ambiance
confinée à ciel ouvert sont de la partie. La violence autant que le climat
fait transpirer les pastels. Une violence à peine atténuée par cette
esthétique expressionniste aux faux airs enfantins. Ici aussi la chronologie
joue à cache-cache. Et soigne son esprit lynchéen en s'attardant sur des
personnages hors-champ, comme ce grand chien noir.
Si Loustal ne révolutionne pas le genre, il affirme sa singularité et
souligne la cohérence de sa démarche à près de 30 ans d'écart. |
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