WB01343_.gif (599 bytes)WB01345_.gif (616 bytes)

2008  Hublots

Mardi 30 décembre 2008

l’image d’une jeunesse échevelée, exhumée sous les traits du grand âge


(…) Il m’est apparu une fois, dans un rêve qui n’en était pas un. Dix ans après sa mort. Tout me disait que c’était lui mais son visage avait beaucoup changé, était presque celui d’un homme plus jeune, d’une quarantaine d’années peut-être. Comme si une fois mort il avait continué seul, sans spectateurs, à s’affranchir de tout, débridé, complè­tement.
Une anecdote me revint quelques jours plus tard en repensant à ce visage. Lorsqu’en 1840 une mission fran­çaise partit pour Sainte-Hélène déterrer le cercueil de Napoléon, dont Louis-Philippe avait autorisé le retour, c’est Bonaparte que les Français découvrirent dans le cercueil : le visage avait perdu tout l’embonpoint de Napoléon, le nez, les pommettes étaient de nouveau saillants, et les joues creuses. Et il avait le teint cireux des années de vaches maigres.
Ce qui parvenait d’outre-tombe ce n’était pas un crâne, aucun memento mori. C’était l’image d’une jeu­nesse échevelée, exhumée sous les traits lourds et flasques du grand âge. La mort travaillait en silence, dans le noir, à faire resurgir cette jeunesse. Non pas les traits de l’aventurier, ou du criminel, figés par les hommages, mais ceux de l’aventure, du mouvement, de la mort œuvrant contre elle-même, à sa propre mise en déroute. Que l’on représente toujours narquoise, mauvaise, armée. Qu’il faut imaginer hébétée, possédée, amou­reuse (je l’ai eue), enrhumée (jeu de jambes, dribble, je passe, elle n’a rien vu). Si bien qu’il me murmurait presque : « Souviens-toi que tu ne vas pas mourir. »

Arno Bertina, Ma solitude s’appelle Brando, Verticales, 2008, p. 82-83

  



 


http://hublots.over-blog.com/article-26210110.html