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2003 Le figaro magazine cahier n°3 samedi 5 avril 2003 n°18, p. 78 -79

FIGARO magazine N°18245



Loustal: Le voyageur immobile

BD, carnets, illustration des œuvres de Simenon, Jacques de Loustal est reconnaissable au premier coup d'œil par son trait impassible, indolent, décalé. Portrait d'un dessinateur de l'ailleurs.

Par Sébastien Lapaque


 
Le Figaro, Le Figaro Magazine; CULTURE, LIRE 5 avril 2003


Loustal: Le voyageur immobile


AUTEUR: Sébastien LAPAQUE


C'est l'année Simenon. Toute conversation avec Jacques de Loustal commence inévitablement par quelques considérations sur le maître liégeois.

- Le Témoignage de l'enfant de chœur et Maigret et l'inspecteur Malgracieux, qui viennent de paraître, portent à sept le nombre d'histoires de Simenon que j'ai illustrées : un roman, Touriste de bananes, et six nouvelles. Les possibilités s'épuisent.


Simenon n'a pas écrit beaucoup d'autres nouvelles mettant en scène Maigret...
Dommage. Pour orner les enquêtes du plus célèbre commissaire de la littérature, Loustal avait trouvé un style. Des dessins en noir et blanc, à la plume, rehaussés au crayon, chacun inspiré d'une phrase reprise au verso.
- Je pourrais m'intéresser à des romans exotiques comme le Coup de lune ou Quartier nègre, mais ils sont un peu longs, et je ne veux pas couper. Je veux respecter la chose écrite. C'est pourquoi je n'ai pas voulu d'adaptation en bande dessinée. Il reste des livres comme La neige était sale, que j'aime beaucoup, mais il y a des passages entiers d'introspection difficiles à illustrer.

Dans son atelier situé au bord du canal Saint-Martin, assis au fond d'un canapé de velours, Loustal ' tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change ' : précis, songeur, réfléchi.
A certains moments, il lui arrive de faire silence, de se lever et de sortir un grand fusain sur lequel il est en train de travailler ou de feuilleter une collection de dessins avec nonchalance, exhibant avec une joie d'enfant ceux dont il est le plus fier ; à moins qu'il ne déniche sur son bureau un objet ou une carte postale ramenés d'un voyage.
Ce garçon est un contemplatif. Comment le cacherait-il ? Les maîtres de l'immobile ont sa faveur : Hopper, Hockney, Balthus. A leur suite, il aime traquer l'instant où tout se joue, la seconde où tout est dit. Il y a quelque chose de géométrique dans l'art de ce diplômé en architecture, même s'il reste obstinément figuratif. Instinctif, il revendique l'exemple des artistes populaires africains et océaniens.
A bien des égards il est aussi autodidacte qu'eux.
- J'ai dû participer en tout et pour tout à quatre séances de nu lorsque j'étudiais aux Beaux-Arts.
Loustal est un maître de la stupeur, nourri de beaux horizons, de lectures, de rêveries. Un quatrième Carnet de voyages paraît au Seuil. L'oeuvre peinte et dessinée d'un homme qui s'est beaucoup promené. Né trop tard dans un siècle trop vieux, il s'est bricolé une technique du vagabondage. Elle seule peut calmer les nostalgies actives qui remuent au fond de son imagination. Dans les bars de Lima, sur les traces de Gauguin dans les mers du Sud, au bord de la Rivière des parfums à Hué, ses crayons et ses cahiers de croquis ne l'ont jamais quitté.
 

- En voyage, le détail d'un paysage, un animal, un coin de rue, une heure agréable de la journée déclenchent l'envie de dessiner. C'est un réel plaisir, qui me permet à la fois de goûter le génie d'un lieu et de me l'approprier. Mais je n'ai pas la prétention d'être reporter. Mes carnets sont des cahiers d'impressions.
Plus tard, ces petits croquis à main levée et ces aquarelles prises sur le vif donnent naissance à des illustrations, des tableaux. Beaucoup d'huiles sur toile encombrent l'atelier de Loustal, accrochées au mur ou posées à même le sol. Des nus, des paysages, le portrait en pied d'un saxophoniste.

- Je peins régulièrement, en partant sans savoir où je vais. C'est à la fois excitant et douloureux. Certains jours, il m'arrive de penser à une toile et d'être pressé de revenir à mon atelier. La peinture est une discipline complexe pour quelqu'un qui vient du dessin. Que faire de la ligne ? Si on la garde et qu'il s'agit simplement de remplir des formes de couleur, autant faire de grandes aquarelles. Après des années de travail, j'en suis toujours à vouloir régler ces histoires avec la ligne. A certains moments, je crois avoir trouvé. Mais il suffit d'une exposition comme celle que Beaubourg a consacré à Beckman pour tout remettre en cause.
Loustal aura un jour 50 ans, on songera toujours, en parlant avec lui, au titre d'un de ses albums scénarisés par Philippe Paringaux : Un jeune homme romantique.
Un Philippe Paringaux que le dessinateur est allé débusquer à l'île de Ré pour le convaincre de rédiger les petits textes qui agrémentent les tableaux et les dessins rassemblés dans Iles et elles. Le bilan de plusieurs années de travail, tendre, exotique, ironique, intime et malicieux. Signé Loustal.
- Deux livres de Jacques de Loustal : - Carnet de Voyages (2000-2002), Le Seuil, 120 p., 23 euros. - Iles et elles, Casterman, 88 p., 22,90 euros. - Et Simenon illustré par Loustal : - Maigret et l'inspecteur Malgracieux, Carnets Omnibus, 110 p., 9,15