2002 Senso
n°.5
'De port en port '
juillet / août 2002

Mare nostrum, Par Pascal Ory,
6 illustrations by Loustal,
p. 54 -65

Marettimo p.55, 17 x 20 cm

Loustal par Ludmila d'Oultremont, senso
nr.5 p. 8
http://www.luxe-magazine.com/fr/article/331-senso.html
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Marettimo p.55, 17 x 20 cm

Bastia p.56, 30 x 23 cm.

Le Pirée p.58-59, 38 x 22 cm.
"Le Pirée. Triple Soleil. Est-ce vous, avec ce chien ? Lequel retient
l'autre ? Qu'attendez-vous pour partir ? On ne vit que deux fois. Le bateau
vous apporte la seconde, la bonne foi pour toutes. Je vois l'hésitation, qui
est comme une nausée, un vertige. J'entends le bruit des machines. Je sens
le bitume. Je goûte le sel, qui est comme du sucre. Ulysse rôde dans les
tavernes du bas quartier, recrutant des matelots pour sa grande expédition
lointaine, à moins que ce ne soit Jason et ses arginautes, à moins que ce ne
soit Thésée pour la chasse au Minotaure. Ce pays-là est rempli d'exode
jusqu'à ras bord. Et vous resteriez là, comme un animal domestique ? Prenez
une autre carte..."
Pascal Ory

Saint-Jean d'Acre p.60, 25,5 x 20 cm.
"Akko pour les juifs, Akka pour les Arabes, Saint-Jean d'Acre pour les
croisés. La tête de mort. Vous êtes parti. Comme une fuite, mais peu
importe. Le départ est un trésor. Seulement, toutes les fuites ont le même
nom - comment dites-vous, déjà ? Oui : Dieu. Facile à reconnaître, chez Lui
: c'est là où règnent le déni d'autrui, la catastrophe- l'absolu, quoi. Je
vois autour de vous la haine déchaînée, elle a brisé ses chaînes. Monstre
très humain ; millions de têtes, de bouches pour vociférer, de bras et de
mains pour tuer. La citadelle d'Acre, les pauvres citadelles de pierre et de
mortier ne lui résistent pas. Les cartes ne sont pas très claires.
Navigateur ? Trafiquant d'armes ? Les deux, sans doute. Dans tous les cas,
vous êtes seul, comme les Juifs et les Arabes, quand ils sont face à face.
Prenez une autre carte..."
Pascal Ory


Bizerte, p. 62 -63, 35 x 23 cm
Bizerte
"Bizerte. La Grande Déesse. Où vous chez-vous, à votre tour ? Le bruit du
monde n'est pas loin, mais il ne passe pas là, pas exactement. Ce que vous
avez trouvé, c'est, bien sûr, ce que vous ne cherchiez pas. Je vois la
profondeur d'une femme. Blanche en dehors, noir en dedans, onde immense.
Aimer n'est pas posséder, comme ils disent presque tous. Aimer, c'est
partir. Havre. Jetée. Barre. Détroit. Mascaret. Les reins se cambrent, le
corps ondule, halète, gémit, se brise et se relance. Parfois, vous êtes
submergés, vous suffoquez. Mais on remonte toujours - noyés, nageurs, peu
importe. On remonte toujours. Prenez une autre carte..."
Pascal Ory


Rhodes, p.64-65, 30 x 20,5 cm
Rhodes
"Nous y sommes. Rhodes la Verte. Le Puits. Celle qui est au milieu des
terres pivote ici sur son axe. Avant, la mer n'était que l'air des poissons
; un jour, elle s'est mise à tourner, et elle est devenue ce qui réunit les
terres entre elles. Port, ils appellent çà : porte, ouverture, passage.
Alors, fatalement, vous franchirez le seuil. Ebloui, peut-être. Trop de
bleu, toujours ce bleu. Personne ne vous aura posé, sauf vous. Je vois une
sorte d'explosion -comment dites-vous déjà ? Oui : liquide. Les bagages
seront restés sur le môle. Vous garderez votre peau. On la garde jusqu'au
bout.
Voilà. Le jeu est joué. La vie est tirée. C'est quatorze drachmes."
Pascal Ory

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