1997 Dans l' atelier de Loustal : BDSCOPE / BD scope septembre '97 BD-Scope numéro 7/8, juin a septembre 1997, p 35 - 42
Dans l’atelier Loustal mélodies. II y a des
jours comme ça où se décident de drôles d'ambiance. Ce jour de
printemps, il neigeait sur le XIXe
arrondissement de Paris. Une neige particulière et plumeuse de fleurs de
noisetiers. Le canal de l'Ourcq avait
perdu son air de Brooklyn pour revêtir celui d'un quai d'Amsterdam. II y a
des jours comme ça où le temps se décale, les sensations se font plus
fortes, comme dans les dessins de Loustal. Dans l'atelier de Jacques de
Loustal justement, nous attendaient ses génies venus du monde entier, ses
statuettes africaines fin de siècle, ses morceaux choisis de voyages. II y
a des jours comme ça où l'on se sent léger et grave à la fois, comme
dans un dessin de Loustal. <<]'ai le goût des
espaces plutôt vides.» La philosophie du voyageur «Carnets de voyage au Seuil constituent deux livres
typiquement de fonds de bibliothèque : des gens se les procurent pour les
comparer aver leurs propres sensations de voyages. Mes dessins de voyage
sont les plus personnels, les plus libres, ceux qui me procurent le plus de
plaisir, qui ne sont commandés et attendus par personne !... /e m'en fous
si ces dessins‑là ont des erreurs de perspective. Au fil des années,
mes dessins de voyage se sont mis à nourrir ma BD et ma peinture. Je
remplis des carnets dans lesquels je puise des idées d'images, de plans, de
cadrages. Tous ces voyages sont des occasions qui se présentent à
l'occasion d'expositions ou de conférences, comme par exemple l'Amérique
latine l'année dernière où je me suis rendu cinq fois. Un vrai choc
culturel et graphique pour moi ! /e ne suis pas un dessinateur casanier, je
ne refuse jamais un voyage, il passe par dessus tout, même si j'ai énormément
de boulot.» «Alors que j'étais en plein
dans ma nouvelle bande dessinée, un lourd et gros récit, le magazine
Grands Reportages m'a proposé de réaliser des images sur les îles du Dodécanèse,
je n'ai pas hésité. Même les endroits comme la côte
saharienne ou Santiago du Chili en plein hiver où je me suis ennuyé ferme,
sont après coup des petits bonheurs : s'ennuyer à Santiago plutôt que
dans son atelier, c'est quand même un luxe ! A la base, le voyage est un
plaisir d'enfant, j'adorais regarder les cartes. Aujourd'hui, sentir une
atmosphère inconnue, ne pas recevoir de courrier ou de coup de téléphone,
être l'étranger injoignable dans une ville, me donnent beaucoup de
plaisir, Mieux, aujourd'hui. Découvrir un maximum de pays est pour moi un
devoir ! Ma cartographie des dernières années, ce sont les iles et les
Tropiques. II y a une idée de chaleur et de solitude qui en émane. Dans
les pays chauds, on peut occuper le terrain, dessiner sans geler sur place.
Mes dessins de voyage sont une façon d'occuper un endroit, d'être bien au
moment présent, comme un plaisir de cigarette. Its sont la justification de
me planter au coin d'une rue ! Mais aujourd'hui, je pourrai aller n'importe
où, y compris dans les pays de l'Est qui ne m'attiraient pas spécialement.
Mes dessins de voyage ont perdu en naïveté, sont moins amateurs. Je remplis
mes carnets dans le but de me constituer des petites réserves de souvenirs,
un peu comme des notes d'écrivain. Par rapport aux photographes, nous, les
dessinateurs, avons un grand atout le fait de dessiner n'installe jamais de
rapport agressif» C'est une philosophie.
Futuropolis avait déjà édité un délicieux Carnet de voyages de Loustal,
des croquis à main levée d'un dessinateur en jetlag. Casterman avait
embrayé avec ses somptueuses productions en couleurs dans un très bel
album superbement titré Lumières du jour. Cette année, Loustal a sélectionné
et maquetté quinze années de croquis de voyages, publiées en deux tomes
par Le Seuil. Du Maroc à l'Afrique, de l'Equateur à l'Ecosse, Loustal a
balayé son regard au coin des rues surchauffées et vidées de son sang par
le soleil ou le vent, vers les moucharabieh et les ombres secrètes, les
palmiers des casinos défraîchis, sur les échoppes et les étals de marchés
rutilants et emmouchés, les tables en mica de bord de mer, les jetées rongées
sur des îles de nulle part, des jardins exubérants, des dancings
chaloupants et des ruelles obscures. Loustal est le biographe d'infimes
secondes du: monde, de regards ou gestes du siècle, de feuilles charnues et
d'orchidées opulentes, de quelques chiens errants et ombres d'hommes. Vacances studieuses pour
Loustal. Sur un canevas de son vieux complice Philippe Paringaux, Loustal a
développé un récit qui marque une rupture avec ses BD précédentes : après
les aventures du désert, les années 50, le polar juif new‑yorkais,
Kid Congo raconte les exploits de boxe d'un ancien tirailleur sénégalais
au début du siècle. Paris 1900, couleurs sombres et brunes, mais toujours
cet onirisme sensuel qui imprègne son œuvre.
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BDSCOPE n°10
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