WB01343_.gif (599 bytes)WB01345_.gif (616 bytes)

2013 35 ans de PLG

avril 2014
Vient de paraître
Le livret des 35 ans de PLG
http://plg-editions.com/

Ce livret, publié à l’occasion des 35 ans de PLG en décembre 2013, est un tirage limité qui comprend plein de dessins inédit réalisés ou repris pour l’occasion :

Baru, Chaland, Jean-C. Denis, Dupuy-Berberian, Will Eisner, Jacques Ferrandez, Daniel Goossens, André Juillard, Willy Lambil, Jacques de Loustal, Frank Margerin, Jean-Claude Mézières, Onurb, Pétillon, Pinelli, Jeanne Puchol, Reiser, Séra, Tardi et Martin Veyron.

Ce livret est offert pour tout achat de 2 livres du Catalogue.

Paris, mercredi 23 avril 1986. Après quelques erreurs d'aiguillage nous traversons enfin le canal Saint-Martin. Le soleil pointe timidement son nez, nous ne sommes pas en retard et l'après-midi s9annonce plutôt bien. Limmeuble est cossu, imposant. Tandis que Pierre-Yves inspecte les lieux comme un voleur, je me cramponne ferme à la poignée du magnetophone...


PLG 20 ans après, toujours sur la brèche

BIBLIOGRAPHlE LOUSTAL IN PLG 21

 

 

 


Fidèle à lui-même, 27 ans plus trad il dessinait toujours sensiblement la même chose.... Loustal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Interview réalisée à Paris le 23 avril 1986

14 h 30. Nous nous tassons dans l'ascenseur. Odeur d'encaustique et grincements divers jusqu'au sixième. Dernières hésitations sur le palier, nous tendons l'oreille et sonnons au hasard. Des secondes ou des siècles passent sans se formaliser puis la porte s'ouvre. Tout de noir vêtu, Loustal nous accueille avec un soutire engageant. Présentations rapides, nous entrons. Couloir clair. Aux murs de vieilles photographies (?) d'Afrique du Nord et d'autres choses encore... Tout de suite à gauche, la pièce qui fait office d'atelier dévoile sans pudeur un joli désordre entretenu. De mémoire pour l'ambiance : un plan de travail près de la fenêtre, des étagères chargées, des revues anciennes, des carnets de croquis, un appareil photo, de nombreuses illustrations encadrées ou non, des affiches publicitaires récentes, un petit ventilateur qui ronronne comme un avion, les esquisses d'un portfolio en préparation, un verre vide sur une table lumineuse, des cartons à dessins torturés, du courrier en attente, une sérigraphie de Burns et une belle planche originale de Serge Clerc, des modèles réduits de carlingues américaines comme dans une chambre de gosse...

15 h 15. Loustal propose du café, nous nous installons dans le salon contigu et j'attrappe la première cassette..

Th. Decombas



A quel moment avez-vous décidé de devenir dessinateur ?

Je dessine depuis que j'ai une dizaine d'années, j'ai toujours aimé ça de même que faire des photos. En fait, l'idée de devenir dessinateur professionnel ne m'est venue qu'assez tard. Je me suis d'abord orienté vers l'architecture, j'ai commencé à pratiquer la bande dessinée tout en suivant mes cours et je me suis rendu compte petit à petit qu'il était éventuellement envisageable d'en vivre...

Vous avez collaboré pendant quelque temps au fanzine Cyclone qui était édité par la coopérative du lycée de Sèvres...

Le lycée de Sèvres était un établissement spécialisé dans les formations relatives aux arts plastiques. Je suis entré en contact avec eux par hasard. Ça devait être dans les années 75. Je poursuivais mes études d'architecture et je faisais un peu de dessin en plus, du nu et de la gravure dans les cours du soir de la ville de Paris. J'étais un peu isolé dans mon coin mais j'ai eu l'opportunité de rencontrer des gens qui m'ont encouragé à essayé de me faire publier. Il me semblait normal de débuter dans un fanzine et à l'époque dans les librairies spécialisées on trouvait Cyclone qui me paraissait pas mal. Je les ai appelés et je suis allé les voir comme s'il s'agissait d'une revue professionnelle. Tout se passait au lycée de Sèvres. Je suis arrivé avec mon gros carton et nous nous sommes rencontrés dans une salle de cours. Ils ont bien aimé mes dessins et en ont choisis quelques-uns pour les publier. J'avais environ 19 ans. Il y avait destas de projets dans l'air pour faire un journal qui ne soit plus un fanzine. Plus tard, ils m'ont demandé des bandes dessinées ce que je ne pensais vraiment pas faire. La première que j'ai livrée était une adaptation d'une chanson de Lou Reed qui s'

appelait « The gift ». Il y avait quelques images qui me plaisaient bien. Il a ensuite été question de faire un petit album avec Tito, un petit album hors série parallèlement à Cyclone. A cette occasion, j'ai été amené à réaliser plusieurs histoires courtes inédites. Il y a longtemps que je n'ai pas revu tout ça, c'était assez curieux.


Avez-vous gardé des contacts avec les gens que vous avez connus à cette époque ?

Je croise Tito de temps en tems parce qu'il a continué. Je vois souvent Vuillemin qui avait fait je crois la même chose que moi. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à Cyclone et nous avons suivi des voies assez semblables en nous tournant tout de suite vers des revues qui nous garantissaient une certaine liberté de création. D'autre part, il s'est passé quelque chose qui nous a un peu rapprochés avec Vuillemin. Un éditeur véreux qui a complètement disparu depuis avait pressenti qu'il était facile d'exploiter cette petite équipe des dessinateurs de Cyclone. Nous recherchions de l'argent et des producteurs pour faire des trucs plus importants, lancer une revue avec une couverture couleur par exemple. Cet individu nous a donc proposé de nous faire travailler et nous avons préparé comme ça une bande dessinée pour lui sur Buenos Aires et le Mundial, c'était en 78. Plusieurs collaborateurs réguliers de Cyclone ont fait ainsi quelques pages dans cet album qui s'appelait Les Coqs à Buenos Aires. Il était très nul et n'a pas marché mais nous avons été payés. Récemment, je suis retombé dessus d'une manière curieuse : c'était à Essaouira au Maroc, j'avais, décidé d'acheter des pistaches et le vendeur fabriquait ses cornets en papier à partir des pages de ce bouquin qu'il déchirait une à une... Notre type voyait grand et il avait d'autres idées derrière la tête. Il voulait aussi sortit une collection de petits livres de cul au format des « fumetti » et il nous promettait des sommes qui à l'époque m'intéressaient bien. Il fallait travailler assez vite, produire 96 planches de BD en quinze jours avec deux images par page. Nous avons foncé là-dessus avec Vuillemin et nous avons fait chacun un album que nous sommes allés livrer et dont il ne reste rien. Je n'ai pas fait de photocopies et le truc a complètement disparu. L'éditeur s'est volatilisé et je ne sais absolument pas ce qu'est devenu ce boulot, je n'ai rien réussi à récupérer...

Vous n'avez pas été payés.?

On a touché 1 000 balles chacun mais C'était assez marrant de faire ça dans des délais aussi courts.


Parallèlement à tout ça vous poursuiviez vos études d'architecture ?

Oui, oui et je travaillais aussi pour Antirouille. Leurs maquettistes piquaient des petites choses dans les fanzines et les plaçaient en cul de lampe pour animer leurs articles. Un jour j'ai aperçu un dèmes dessins, j'étais évidemment très content. Je suis allé les voir, ils aimaient bien ce que je faisais et j'ai commencé à travailler pour eux en Même temps qu'à Cyclone .

J'avais aussi un ami pigiste à Rock & Folk et je suis allé avec lui présenter mes dessins à la rédaction et tout s'est enchaîné comme ça, c'était indépendant de Cyclone et Antirouille, j'aimais bien ce journal dont Paringaux était le rédacteur en chef et j'avais déjà remarqué les petits textes qu'il écrivait : les Bricoles. J'avais vu aussi les dessins de Serge Clerc que je trouvais bien. Comme je ne produisais pas trop de BD, je cherchais un peu tous les canards susceptibles de passer mes petites illustrations.

Parlez-nous de ces premières parutions dans Rock & Folk ?

Il y a d'abord eu des petits dessins qui accompagnaient le courrier des lecteurs. Ils en gardaient plusieurs qui n'étaient pas spécialement liés à l'actualité musicale et les utilisaient suivant leurs besoins. Peu à peu je me suis dit qu'il faudrait quand même que je propose une bande dessinée. C'était bien sûr plus intéressant que des illustrations qui passaient une fois tous les deux mois sur un quart de page. Mon premier essai s'appelait Crazy TIM et racontait une histoire autour d'une rock star. Il a été publié en couleur sur quatre pages. J'ai ensuite voulu continuer et j'ai apporté Jus d'abricot, 6,35 et klaxon bloqué, une histoire qui a été reprise dans New York/Miami et que j'aime bien. Le dessin plaisait mais pas le texte. J'ai alors proposé à Paringaux qui avait arrêté d'écrire ses Bricoles de continuer un peu ce qu'il faisait mais sous forme de scénarios d'où le début de notre collaboration.

Un des scénarios Cruisin' in a Buick ressemble étrangement à une nouvelle de Boris Vian Les chiens, le désir et la mort...

En effet, j'adorais cette nouvelle, je la relisais régulièrement et j'avais très envie de la transposer dans le milieu Côte d'Azur avec un petit air de twist. J'avais préparé une première adaptation que Paringaux a remanié, il en a fait quelque chose que j'aimais beaucoup. C'est vrai que nous n'avons jamais clairement précisé la source de notre inspiration (rires)...

L'autre jour j'ai reçu le dernier Strapazin qui est un fanzine allemand et il y a un jeune dessinateur qui a adapté encore une fois Cette histoire. Mais là, ça s'appelle carrément Les chiens, le désir et la mort, c'est en noir et blanc et ça se passe comme chez Boris Vian avec un chauffeur de taxi. C'est assez beau d'ailleurs...

 

A quelle date vos premiers dessins sont-ils parus dans Rock & Folk ?

En 77.

Connaissiez-vous Serge Clerc ?

Je le rencontrais de temps en temps. A l'époque il travaillait beaucoup plus que moi, il faisait ses trucs dans Métal. On allait parfois voir des concerts ensemble. Après mes premières publications dans Rock & Folk, il y a eu une transition évidente et naturelle vers Méta Hurlant. Des gens comme Philippe Manoeuvre se partageaient déjà entre les deux revues et Métal Hurlant était le journal de bandes dessinées qui correspondait le plus à l'esprit de Rock & Folk.

Les premiers travaux pour Métal...

Je me rappelle qu'à l'époque je ne savais jamais si mes histoires allaient passer dans Rock & Folk ou Métal Hurlant. Sauf pour les numéros spéciaux où l'on me demandait de bosser sur un thème déterminé. Je me doutais de toute façon que les BD qui étaient publiées dans Rock & Folk seraient reprises en albums aux Humanos. A un moment il y a eu un projet pour sortir sous le titre BD Rock une compilation de l'ensemble des planches parues dans Rock & Folk. Beaucoup de choses dont Paringaux avait écrit le scénario en fait, mes propres bandes, celles de Lionel, de Serge Clerc, de Duftoy, de Solé, de Macédo. Le truc a traîné un peu et finalement je n'étais plus tellement intéressé parce que je commençais à avoir quelques histoires et tout ça me court-circuitait un premier bouquin personnel. Je publiais en fait de manière très épisodique, je continuais mes études d'archi et je ne dessinais pas vraiment à plein temps.


Où en étiez-vous de vos études ? J'ai commencé en 73 et j'ai terminé en 81 J'étais donc en quatrième année.

Avaient-elles plus d'importance que la bande dessinée ?

Cela me prenait encore pas mal de temps. Ce n'est que sur la fin que je me suis accordé trois années supplémentaires pour terminer parce que j'avais décidé de me consacrer beaucoup plus au dessin.

Je ferais peut-être maintenant des histoires sur les polynésiens

 Vous n'avez donc jamais abandonné malgré le succès qui pointait son nez ?

Non car je voulais terminer à vrai dire. C'était idiot d'avoir fait cinq ans et d'arrêter d'autant que les études d'architecture ne sont pas inintéressantes. En plus je devais encore m'acquitter de mes obligations militaires, j'espérais bien bénéficier d'un sursis et partir en coopération plutôt qu'en caserne. C'était l'un ou l'autre mais de toute façon je devais avoir décroché mon diplôme à une certaine date pour que ma candidature à un poste de coopérant soit prise en compte. J'ai donc fait un effort sur la fin pour pouvoir partir dans de bonnes conditions. J'ai eu de là chance, on m'a envoyé au Maroc. Remarquez, j'aurais tout aussi bien pu me retrouver à Tahiti et je ferais peut-être maintenant des histoires sur les polynésiens (rires).

 

Un mythe entretenu par vos éditeurs s'est peu à peu construit autour de votre séjour au Maroc. Racontez ce que vous faisiez là-bas... J'étais affecté au service technique d'une préfecture et j'ai eu le bonheur de me retrouver dans une petite ville qui correspondait exactement aux dessins que je faisais, une petite ville balnéaire construite par les français dans les années 20 avec des petites maisons basses, des bungalows sur la plage et une jolie promenade bordée de lampadaires. Je vivais ainsi au quotidien dans un décor que j'avais souvent dessiné sans vraiment le connaître.

Inédit : La mort de Zappata. Cette illustration était prévue pour le n 0 d'une revue publiée chez Bayard, Un des rares essais de Loustal en western.

J'avais très peu de travail et j'ai beaucoup voyagé.

J'avais une voiture et pas mal d'amis là-bas Je jouais beaucoup au tennis, c'était agréable. Et puis le Maroc est un pays splendide avec une lumière étonnante ; c'est assez impressionnant et ce n'est pas pour rien si tant de peintres y ont fait des séjours, Delacroix Matisse, etc... J'y retourne prochainement pour les éditions autrement, je suis très content.

Zénats-Plage existe vraiment ?

Oui, c'est un endroit marrant qui se trouve sur la côte atlantique entre Casablanca et Mohammedia. Quand on quitte la route et que l'on va vers les dunes, il y a des tas de cabanons que les casablancois utilisent l'été pour trouver un peu de fraîcheur. ZénataPlage est un bouquin qui me tient particulièrement à coeur. Il a été fait en un an alors que j'aurais pu l'expédier en deux semaines. Mais chaque dessin a un vécu, un poids. Certains ont été faits pour tromper l'ennui, aucun d'entre eux n'est gratuit et rien n'est complètement inventé. Je les faisais sans jamais gommer. Un premier jet à l'encre, ça marche ou ça ne marche pas. Je me rappelle qu'à l'époque j'ai failli faire une expo-vente de toutes ces aquarelles dans un grand hôtel de Casa. Heureusement que ce projet n'a pas abouti, le bouquin n'aurait peut-être jamais vu le jour...

Lorsque j'ai pu prendre un peu de recul par rapport à tout ça, je me suis rendu compte qu'il y avait 25 dessins assez homogènes, suffisamment anecdotiques et j'ai écris un petit texte pour servir de fil conducteur. A ce moment c'était Marc Voline qui s'occupait de Métal. A l'occasion d'un voyage à Paris, je lui les ai montrés et certains furent pré publiés sur quatre pages dans la revue. Il y a eu ensuite le projet d'album chez Magic-Strip puis une expo à La Hune. C'était bien. Il y a des gens qui ont beaucoup aimé ce livre, je reçois des lettres de lecteurs qui ont été touchés parce qu'ils ont connu certains lieux dont je me suis inspiré et ça me fait très plaisir.

 

Vous commenciez à ce moment à aborder la BD en professionnel...

Ouais, je me rappelle que j'ai reçu Cliché d'amour au Maroc. J'avais donc déjà deux bouquins assez importants mais je ne savais pas du tout si en rentrant j'allais faire de l'architecture à mi-temps ou continuer à dessiner. Je me suis rendu compte qu'il était difficile de mener les deux activités de front, que je risquais de me planter sur les deux tableaux et j'ai finalement décidé de me consacrer entièrement au dessin.

Avez-vous complètement abandonné l'idée d'être architecte ?

A vrai dire, la seule fois où j'ai pratiqué un peu l'architecture, c'était au Maroc, dans le service technique d'une administration et cela ne m'a pas tellement emballé. De plus, on est beaucoup moins maître de ses choix dans l'exercice quotidien de l'architecture que dans la BD, et, d'un point de vue créatif, ce q'est pas très grisant en ce moment. Ça fait cinq ans que je ne regarde plus ce qui sort , que je ne lis plus de revues spécialisées, et il y a maintenant pour moi un problème évident de recyclage... Je ne pense donc pas y revenir, mais si un jour je me fais construire une maison, il est probable que je travaillerai dessus (rires).

Cette formation vous a-t-elle influencé ?

Je crois qu'on peut la percevoir dans mon dessin qui est quand même très lisible, assez net, assez construit. Mes traits se rejoignent toujours et le regard que je porte sur l'environnement de mes personnages est assez marqué. J'ai toujours eu le goût des décors, j'aime observer ce qu'il y a autour de moi et j'espère que cela se retrouve dans mon travail, surtout lorsque je dessine de grandes images.

Je n'invente pratiquement aucune architecture

Travaillez-vous d'après photos, sur des documents ?

Pour intégrer des architectures, je travaille en général d'après des photos que je prends moi même. Quelques fois, lorsque ce n'est pas possible, j'utilise de vieux livres, de vieilles revues, dans lesquels je pioche des trucs intéressants. Je redessine ensuite les images, je remets les décors en perspective. Je n'invente pratiquement aucune architecture et je ne cherche jamais à montrer un bâtiment particulier, mais plutôt à composer une image à partir de ce dernier. En fait, ce sont les lieux qui m'intéressent et je m'aperçois d'ailleurs que la plupart des bouquins que j'ai fait seul portent des titres qui font allusion à ça. Mon goût personnel m'y porte souvent.

Parlez-nous du Restaurant du Parc, que l'on trouve page 38 dans Coeur de sable, mais aussi en toile de fond d'un poster édité par Carton...

C'est une belle construction qui existe vraiment et qui se trouve à Mohammedia. Je passais devant tous les jours en allant au tennis.

Actuellement les palmiers ont grandi et il n'est pas possible d'avoir une vision d'ensemble comme celle que j'ai dessinée. Je me suis servi en fait d'une vieille carte postale que j'ai trouvée chez un bouquiniste à Casablanca. Ce restaurant est magnifique et la première version réalisée dans Coeur de sable ne me satisfaisait pas complètement. Je l'ai donc retravaillé à l'occasion du projet d'affiche pour Carton.

Un critique a écrit que vous êtes un plasticien plus qu'un véritable dessinateur de BD et que vous avez tout de suite compris qu'un beau dessin ne peut se passer d'une histoire solide. Raison pour laquelle vous vous seriez adressé à Paringaux ...

Que pensez-vous de cette analyse

Je ne dirai pas que je suis plus plasticien que dessinateur, mais c'est vrai que je suis plus « montreur d'images » que « raconteur d'histoires ». Ce qui me plaît dans la bande dessinée, c'est de mettre en scène une histoire. Inventer une trame ne m'intéresse pas particulièrement et je me connais assez pour savoir qu'à partir du moment où je choisis de faire de la BD, j'ai absolument besoin de scénaristes. En plus, j'aime bien rencontrer des gens qui sont des professionnels de l'écriture, qui font autre chose que de la bande dessinée, qui ont leur univers à çux que je peux confronter au mien. Si un jour je me lance seul sur un. long récit, je me réserve d'ailleurs la possibilité d'adapter un roman que j'ai bien aimé. Dans Arrière saison, les seules pages que j'ai rites moi-même sont liées à des images que je portais en moi ou à des photos, des croquis que j'avais amassés depuis longtemps. Elles sont souvent limitées à un lieu et les textes permettent simplement de passer d'une case à l'autre en soulignant parfois ici ou là, le côté anecdotique...

Parlez-nous de Paringaux... Vous ne faites pas parti de la même génération mais on sent pourtant une harmonie parfaite entre ses textes et vos dessins...

Effectivement je crois que ce fut une très bonne rencontre. Nous avons beaucoup d'affinités et de références communes. Une sensibilité assez proche aussi, mais c'est vrai que nous ne sommes pas très intimes. J'ai toujours beaucoup de plaisir à le voir, à travailler avec lui, et ce n'est pas gênant d'avoir une certaine distance comme ça. Ce qui m'intéressait au départ chez Philippe, c'était son écriture et les histoires qu'il racontait.

Vos premières histoires se passaient aux U.S.A.

C'était un univers auquel nous étions sensibles tous les deux. Le début de notre collaboration s'est fait dans le cadre de Rock & Folk, nous étions donc naturellement portés par la musique anglo-saxonne, par toutes les références au cinéma et à la littérature américaine. Cela m'amusait de mettre en scène les Etats-Unis, d'autant plus qu'à l'époque j'y étais déjà allé trois fois. Lorsque je me suis retrouvé au milieu des villes géantes, des parkings déserts et des autoroutes, ce fut le choc. C'était le décor de tout ce dont je m'étais nourri pendant bien des années. J'ai pris énormément de photos. Une BD comme New York/ Miami, c'est une sorte de carnet de voyage. En rentrant j'avais dessiné quelques pages à partir de trucs que j'avais vu là-bas et Paringaux en a fait une petite nouvelle policière.

Comment organisez-vous ces voyages ?

Je m'embarquais comme ça. En général j'avais une adresse et je partais avec des amis. J'y suis allé deux fois avec Max Fournier. Il s'envolait le premier et nous nous retrouvions à New York avant de prendre un bus pour la Floride. On arrivait dans des villes qu'on ne connaissait pas, on prenait une chambre et on- se promenait. Nous étions en situation de découverte permanente, nous rencontrions des gens et c'était formidable.

Ces équipées s'appuyaient-elles sur un fond culturel ?

Elles étaient uniquement dictées par l'envie de connaître tel ou tel pays. Je ne suis jamais allé en Asie par exemple, parce que cela ne me dit pas grand chose pour l'instant. A l'époque, c'était surtout les U.S.A. qui m'intéressaient, New York. Nous avons eu l'occasion de descendre en Floride qui me plaisait bien avec son petit côté tropique.

Vous étiez très côte Est ?

Ça, c'est un peu une question d'opportunités. Lors de mon troisième séjour, je suis allé en Californie, mais les conditions n'étaient pas les mêmes...

Et puis il y avait tout un état d'esprit auquel je n'adhérais pas tellement en fait. A l'inverse, je suis resté plusieurs semaines en Floride, ce qui permet quand même de sentir l'atmosphère d'un endroit. J'aime bien ce mélange de population, les espagnols et puis cette chaleur, cette humidité que l'on ne trouve pas en Californie.

J'apprécie bien une certaine facilite et le luxe mais aussi des trucs très sordides.

Vous semblez avoir une attirance particulière pour la vie facile, le luxe et l'ennui...

Oui, je me rends compte que ce sont des trucs qui apparaissent souvent dans mes histoires. Cet univers se retrouve d'ailleurs parfois chez les auteurs que je lis... Vie facile ? Je ne sais pas. C'est assez difficile d'en parler, ce sont mes composantes. C est vrai que j'apprécie bien une certaine facilité et le luxe, mais j'aime bien aussi des trucs très très sordides. C'est un mélange lié à ma personnalité, je suis comme ça. Mais je crois que ce sont des pôles opposés qui peuvent amener quelqu'un à dessiner, à écrire, à créer quelque chose. Cette idée, je la retrouve dans mes goûts pour des dessinateurs, des peintres ou des films qui n'ont rien à voir entre eux mais qui m'impressionnent tout autant les uns que les autres...

 

Dans vos histoires courtes, vous semblez éprouver un malin plaisir à mettre en scène des femmes souvent difformes...

Celles dont vous parlez viennent dans des histoires de vieilles actrices, de gigolos. Pour les autres, j'ai eu longtemps un problème que je suis en train de résoudre. Dans la bande dessinée, il y a un code très large pour dessiner les hommes. On peut leur faire des gros nez, il reste toujours des têtes intéressantes. Inversement pour les visages de femmes, tout est plus limité. De face, par exemple, on ne peut pas dessiner l'arête du nez ou des petits points pour les yeux... La marge de manoeuvre est assez étroite d'autant plus que j'ai. souvent tendance à déformer mes personnages. Dans mon portfolio publié par L'Atelier, il y a six nus de femmes qui sont tout à fait belles. Enfin, à mon avis...

Nous demandons a nos lecteurs d'être attentifs aux images

Nous voudrions revenir sur la manière toute particulière que vous avez de raconter une histoire avec Paringaux. De grandes cases avec un texte dessous, pas de bulles qui pertubent le dessin.

Au départ, Paringaux n'était pas un scénariste de BD. Pour ma part, je me sentais plus illustrateur que dessinateur de bandes dessinées et je ne voyais pas tellement la nécessité d'intégrer des bulles à mes images. En plus, il y a tout un plaisir du style et de la phrase qui peut apparaître dans le texte off et que l'on ne retrouve pas forcément dans une bande dessinée plus traditionnelle.

C'est très riche tout ce que l'on peut faire sur le décalage texte/image, entre ce qui est montré, ce qui est dit et ce qui doit être décrypté. Le problème, c'est que les informations données par le dessin doivent être lues de la même manière que celles données par les mots et cet exercice reste encore difficile pour pas mal de gens qui n'arrivent pas à décoder les images. Je crois que cela vient d'une certaine tradition de la BD, où l'on retrouve souvent une redondance à la Blake et Mortimer. J'aime beaucoup cette série, mais c'est vrai que dans ce cas qui n'est pas si particulier, le regard n'a pas besoin de s'arrêter sur une image. Si le type court dans le couloir, on peut lire au dessus de la case Blake court dans le couloir. Nous, nous demandons à nos lecteurs d'être attentifs aux images...

Votre travail laisse place à l'imagination. On peut parfois s'évader et inventer nos propres histoires en percevant tel ou tel détail, telle ou telle ambiance...

Quand je lis des textes, il me vient toujours des tas d'images en tête et l'intérêt pour moi lorsque je dois en illustrer un, c'est de choisir celles que je vais montrer. Lorsque je travaille sur mon propre texte, l'image est généralement un complément d'informations ou alors un jeu tout à fait volontaire sur la redondance.

Quand on m'apporte une histoire à raconter, je regarde toutes les atmosphères et les ambiances qui peuvent en découler, le style et le cadre général beaucoup plus que le fond de toute façon. C'est là-dessus que je me décide, que j'accepte ou que je refuse.

Vous ne souhaiteriez pas tenter l'expérience d'une BD plus traditionnelle ?

Si justement ! Depuis que je fais de la BD, j'ai un peu l'impression d'être à l'écart du courant général et j'ai envie maintenant de toucher à quelque chose de plus codifié, avec des ballons, des traits pour la vitesse et tout le langage propre à la BD classique. Je pense que cela pourrait m'amuser de me trouver confronté à tous les nouveaux problèmes graphiques qui vont se poser.

Théoriquement, je dois commencer une série à la fin de l'année avec pour scénariste Jean Luc Fromental. Quelque chose avec des bulles et un texte aussi. Je ne sais pas du tout comment cela va se passer. Au début, il y aura cinq histoires complètes avec toujours le même personnage. Un personnage très souple qui voyagera dans le siècle et sur le globe. On pourra le retrouver en Italie, dans les années 30, puis à Shangaï, dans les années 50. Ce héros s'appellera Morel Cox (rires). Cette bande paraîtra dans l'Écho des Savanes puis en album chez Albin Michel. J'ai le premier épisode, une histoire de dix pages, et je vais me consacrer à ce projet avant de reprendre un roman avec Paringaux.

Comment s'organise votre collaboration avec lui ? Quelle forme ont ses scénarios ?

On va parler de nos deux derniers grands récits, c'est assez différent à chaque fois en fait. Pour Coeur de sable, je rentrais du Maroc, j'avais très envie de continuer à dessiner ce pays et j'ai proposé à Paringaux de faire une histoire qui se passe là-bas. L'époque m'importait peu, et il s'est fixé sur les années 30 à travers tout ce qu'il aime bien dans le cinéma hollywoodien. Ça m'intéressait aussi, parce qu'il y a tout un design, un style années 30 que j'aime bien. Il a commencé à me raconter une histoire que nous avons enrichie ensemble puis il a écrit un synopsis assez précis avec la description de l'action page par page. Je me suis ensuite occupé du découpage complet de l'album en dessinant des petites planches miniatures, en montrant l'enchaînement des images et les différents cadrages. Sur cette base, Paringaux m'a fourni son texte définitif que j'ai tronçonné avant de faire le dessin final. Le schéma initial a parfois un peu changé...

Pour Barney et la note bleue, les choses se sont passées un peu différemment. C'est Philippe qui avait envie de raconter une histoire sur le monde du jazz dans les années 50-60. Pour moi, le jazz c'était surtout la musique des films policiers de ces années-là, et j' avais donc en tête toute une imagerie qui collait bien à ce projet. Je suis né en 56 et je n'ai pas de souvenir de cette époque, mais j'ai des frères aînés qui écoutaient cette musique-là et je me rappelais avoir vu traîner quelques pochettes de disques. Tout ça me titillait un peu (rires). En plus, il y avait tout le côté jazzmen avec des personnages assez solitaires qui m'intéressaient bien... Nous sommes donc partis là-dessus...

Il n'y a pas eu de synopsis ?

Non, pratiquement pas. Il y a eu des rencontres assez longues, on affinait peu a peu et je prenais des notes. Ensuite, nous avons fragmenté notre histoire en chapitres et nous avons défini les séquences que nous voulions montrer en essayant de déterminer l'importance qu'il fallait leur accorder...

Paringaux intervient-il dans le choix des cadrages ?

Pas du tout. Je ne travaille jamais avec des scénaristes qui s'occupent des cadrages. Je crois que j'aurais horreur de ça.

Comment présentez-vous vos projets chez Casterman ?

Nous amenons un synopsis s'il y en a un, et dans le cas contraire, Paringaux raconte l'histoire de vive voix à Mougin. Pour ma part, je fournis un petit découpage, un paquet de feuilles 21 x 29,7 avec toutes les planches en miniature.

Est-ce que tout est définitivement complet lorsque vous attaquez le dessin ?

Le découpage est toujours sujet à des changements ponctuels, et de toute façon, le texte définitif ne s'écrit qu'au fur et à mesure. Philippe me donne quatre ou cinq pages ; quand j'ai fini, il m'en file d'autres, ce qui évite que les chosent se figent.

Coeur de sable se passe dans les années 30. Barney et la note bleue, dans les années 60. N'avez-vous pas l'impression de faire le jeu ou de profiter d'une certaine mode nostalgique ?

Je ne pense pas que ce soit une question de mode. Il y a des courants d'idées qui se croisent. On a commencé Barney puis on a appris que Tavernier préparait un film sur la vie de Bud Powell avec Dexter Gordon, qui va s'appeler Autour de minuit. Je pense que Paringaux est plus jeune que Tavernier, mais il me semble naturel que des gens qui ont la possibilité de créer des trucs se retournent sur ce qu'ils ont vécu. Je dirai aussi que cette histoire n'est pas du tout traitée façon mode. J'ai supprimé volontairement un maximum d'objets référentiels et je l'ai dessinée comme j'aurai pu le faire à l'époque. Il n'y a pas un scooter à tous les coins de case, ni un mobilier trop choisi, je ne voulais pas être sélectif et transformer les intérieurs en musées des années 60. C'est intéressant pour quelques collectionneurs, pour quelques passionnés de design, mais ça nuit un peu au réalisme. En fait pour Barney, je me suis beaucoup penché sur le cinéma français de ces années-là, hors nouvelle vague. Tous ces films qui n'ont pas tellement laissé de traces, les polars avec Eddy Constantine, les premiers rôles de Bardot, les films avec Jacques Charrier, etc...

Combien de temps avez-vous mis pour mener à terme Coeur de sable et Barney ?

Environ un an pour chacun de ces albums, mais je n'y ai pas toujours travaillé en continu. J'ai mis treize mois pour dessiner Barney mais entre temps, j' ai fait les deux tiers d'Arrière saison, plus d'autres petites choses. C'est vrai que c'est assez long et pour cette raison, je ne fais pas de gros projets BD cette année. Lorsqu'on commence une longue histoire, on lui donne une certaine forme et on est obligé de s'y tenir jusqu'au bout, ce qui bloque un peu toutes les recherches que l'on souhaiterait faire. En ce moment, je fais des petits trucs plus ponctuels qui me plaisent beaucoup, mais je sais que dans. quelques temps, tout le-côté découpage, mise en scène, narration va me manquer. Barney,ce fut très long quand même. Il parait pourtant que je travaille vite...

 

Quels sont les sentiments que l'on éprouve lorsqu'on travaille quotidiennement sur d'aussi longs récits ?

Il y a evidement des moments de saturation 0U faut s'arrêter. Quand ça commence à bien rouler, que l'on possède bien les personnages, tout devient de plus en plus facile et il y a alors un réel plaisir à avancer. En plus, il y a toujours certaines cases ou certaines séquences que j'attends avec impatience. Dans Barney par exemple, j'ai essayé un truc un peu particulier pour toutes les séquences flash-back. Je ne voulais pas tomber dans un sépia trop classique alors j'ai fait un fond gris puis j'ai mis des applats de couleurs transparents sur les modelés. Ça donne un effet qui est intéressant, mais je ne sais pas quel en sera le rendu à la reproduction. J'espère quand même qu'on va se rendre compte du truc. Toutes ces manipulations apportent forcément une certaine habileté dans le maniement de la couleur. Sur la lancée, j'ai fait une aquarelle dans des tons gris. Elle a été publiée mais très mal imprimée dans le numéro spécial musique de (à suivre).

Les histoires longues demandent énormément de travail mais au bout d'un moment, se retrouver seul toute la journée devant sa table devient un état un peu naturel...

 

Travaillez-vous de façon régulière ?

Je bosse le matin et rarement la nuit. Quand j'ai beaucoup de choses en chantier, ça représente des heures et des heures, mais cela ne pose pas tellement de problèmes. Quand je suis en vacances ou que j'arrête les trucs de commande, je continue à faire des dessins...

C'est difficile de faire la différence entre les loisirs et le travail

Comment occupez-vous vos loisirs

En ce moment, j'en ai assez peu et puis c'est difficile de faire la différence entre les loisirs et le travail quand on fait quelque chose d'un peu vital comme ça. Si on m'avait posé cette question il y a dix ans, j'aurais répondu : «je dessine ». En fait, je joue au tennis, aux échecs, je vois beaucoup de films, je rencontre des gens.

Vivez-vous la nuit ?

Ouais, mais tout est relatif, je ne suis pas un mondain parisien mais c'est vrai que je sors pas mal...

Sur le dos-couverture de votre album publié en 1981 par Yann Rudler, on vous voit aux Bains-Douches ...

(Rires). Ça, c'était à l'époque où je connaissais Rudler, qui lui, par contre, était un vrai mondain parisien et avec qui je sortais assez souvent. En fait, j'avais beaucoup moins de travail, je commençais juste à dessiner dans Rock & Folk. J'étais très branché musique rock mais tout était plus palpable qu'aujourd'hui. Il y avait des tas de petits groupes partout et on pouvait facilement connaître les musiciens. Maintenant ma vie a un peu changé, mais cela tient aux rencontres que j'ai faites, il y a quelques années je jouais moins au tennis. Et puis j'ai eu une petite fille récemment. Ça prend du temps tout ça...

Certains dessinateurs calquent parfois leur vie sur celle de leurs personnages. En est-il de même pour vous ?

Pas vraiment, mais j'aimerais courir le monde plus que je ne le fais pour ramener de nouveaux dessins sous forme de carnets de voyages...

A l'époque où nous avions interviewé Ted Benoît, il n'avait pas de voiture mais rêvait d'une belle américaine...

Oui et maintenant il en. a deux ! J'admire beaucoup les gens comme ça qui vont au bout de leur logique. Personnellement je n'ai qu'une R5. Je préférerais évidemment avoir une belle voiture mais ça m'ennuirait de m'occuper d'une-bagnole qui tombe en panne tous les quatre matins.

Vous considérez-vous comme une vedette ?

Non pas du tout. Mais qui est une vedette dans la BD ? Bilal est une vedette ? Je n'ai absolument pas conscience de tout ça. Les gens me connaissent-ils ? Parfois je suis

Que pensez-vous de la critique BD ?

Elle n'existe pas partout. Il y a beaucoup de journalistes qui se contentent de recopier les prières d'insérer. Il y a des gens que j'aime bien et dont l'avis me touche. Je pense à Willem par exemple.

Les critiques de (à suivre) me semblent assez constructives. Je constate qu'en général les critiques qui me concernent sont plutôt bonnes... Sauf celles de quelques journalistes qui s'endorment en lisant mes bouquins.

Quelles techniques employez-vous pour réaliser vos planches ?

Pendant longtemps j'ai bossé avec des encres. J'ai fait aussi des recherches avec des crayons de couleur, j'ai essayé les hachures, j'ai même supprimé le trait... On retrouve tout ça dans mes deux premiers albums parus aux Humanos. Il s'agissait de petites histoires indépendantes que je pouvais traiter de manières différentes au gré de mon inspiration.

Maintenant je travaille le plus souvent en couleurs directes à l'aquarelle sur un papier à grain, ce qui donne au trait un côté un peu irrégulier et j'utilise une plume plutôt souple pour l'encrage. Lorsque j'étais au Maroc, j'avais beaucoup de temps devant moi, j'étais très disponible, il y avait une lumière formidable et je me suis mis à l'aquarelle. Zénata Plage est mon premier bouquin entièrement réalisé avec cette technique. En rentrant, j'ai enchaîné sur Coeur de sable. J'avais vraiment une sorte de respect pour ce matériau qui est assez riche mais pas très efficace pour certaines scènes de nuit par exemple, qui en l'occurrence sont plutôt ratées. J'étais obligé de passer de nombreuses couches de couleur et le rendu final perdait de la transparence. Pour Barney, j'emploie soit de l'aquarelle, soit des encres suivant l'ambiance que je cherche et c'est mieux ainsi. Il y a aussi des rouges, des bleus nuit, des sépias foncés que je ne pouvais absolument pas obtenir avec l'aquarelle. Pour revenir sur les étapes qui me conduisent au dessin final, je préciserai que je commence généralement par faire des petits croquis au crayon que j'épure au feutre sur des calques successifs. Lorsque j'obtiens un résultat satisfaisant, j'utilise ma table lumineuse, je pose mon papier aquarelle sur mon crobard et j'encre directement sans faire de crayonné, ce qui donne plus de valeur au trait. La main est plus libre. Pour Coeur de sable, je préparais mon dessin sur une feuille séparée, je le décalquais pour le reporter sur la planche originale puis j'encrais. Je faisais cinq fois le même dessin et en plus le trait était un peu timide. Maintenant je gagne du temps et de la spontanéité. Il y a des gens comme Bilal ou Rochette qui font tout sur la même planche, moi je ne peux pas. Le papier aquarelle est très fragile, il s'abîme si l'on gomme et toutes les impuretés se révèlent lorsqu'on passe le liquide. Je suis donc contraint à un travail très méthodique. Je dois aussi tendre ma feuille sur un chassis pour qu'elle ne gondole pas et je suis obligé de préparer tout ça le soir parce qu'il faut cinq ou six heures pour qu'elle sèche. C'est toute une organisation. En ce moment, je m'intéresse beaucoup au trait qui devient de plus en plus important dans mon dessin. Pour ce qui est des textes, je les écris à part, puis je les découpe et je les colle sur l'original.

Toute cette cuisine ne freine-t-elle pas un peu la création ?

Je pense qu'il y a un risque évident de tuer la spontanéité du dessin. Je suis souvent assez satisfait de mes crayonnés, de mes esquisses préparatoires et je m'aperçois parfois que le rendu à l'encrage est un peu sec. J'essaie alors de récupérer tout ça avec la couleur, les modelés...


Encore une bonne raison d'être fidèle aux couleurs directes...

Oui... J'ai fait des essais sur des bleus mais c'était catastrophique. J'avais l'impression de faire du coloriage et en plus le support papier n'était pas très varié. En fait, le seul problème de la couleur directe, c'est que les noirs sont reproduits en quadrichromie et qu'ils épaississent donc toujours un peu.

Que pensez-vous en général du résultat imprimé ?

Je suis parfois déçu mais cela tient souvent au papier utilisé, les photogravures sont souvent assez bonnes. Chez Casterman les albums sont très bien faits mais inversement le papier de la revue n'a pas un bon rendu des couleurs. Il y a parfois des effets assez fins sur la lumière qui n'apparaissent pas et on se retrouve facilement avec un ciel plombé alors que la scène est censée être baignée par une douce lumière du matin.

 

D'où l'intérêt d'exposer les originaux...

Exactement !

 

Je n'existe pas du tout dans le circuit de l'Art

 

Parlez-nous des expériences que vous avez pu avoir dans ce domaine.

J'ai eu l'occasion de présenter certains de mes dessins à Paris (La Hune et Super Héros), à Genève, à Lyon, à Nantes bientôt, mais toujours en librairies avec l'argument d'une sortie d'album. Jamais dans le circuit de l'art où je n'existe pas du tout en fait...

Quelles sont les dimensions réelles de vos originaux ?

Environ 30 x 40 pour les planches. Les dessins de Zénata sont tels sauf trois à la fin qui sont aussi en 30 x 40.

Envisagez - vous de nouvelles orientations graphiques ?

J'essaie d'expérimenter des matériaux que je n'ai encore jamais utilisés. En ce moment je fais pas mal de choses au pastel gras et j'ai aussi très envie de me frotter à l'huile ou à la gouache. En une journée je peux faire une aquarelle sans perdre de vue mon image et je peux arriver à quelque chose d'assez pointu. L'élan n'est pas interrompu. Pour le même travail à la gouache ou à l'huile, il me faudrait une semaine. L'aquarelle, ce sont des écrans de couleurs entre la lumière qui est dans le blanc du papier et l'oeil. Avec la gouache, il faut ramener les lumières et ce n'est donc pas pareil. C'est important le temps passé à travailler, le temps de production d'une image.


Vos essais se font surtout sur des petits travaux autres que la BD...

Oui parce qu'avec tout ce que j'ai essayé, je me rends compte qu'il y a un problème de lisibilité mais aussi de temps de fabrication comme je viens de le dire. Pour les bandes dessinées, j'essaie de ne pas me disperser : dessin à l'encre avec le trait qui devient de plus en plus important et modelé à l'aquarelle.

Vous avez dessiné récemment des petites vignettes sur le Togo pour l'éditeur Alain Beaulet. Connaissez-vous ce pays ? Parlez nous de cette expérience éditoriale originale.

J'ai vraiment adoré faire ça, c'était passionnant. J'avais fait un voyage en Afrique et j'étais allé au Togo. J'étais resté dans un hôtel et j'avais fait plein de dessins, de croquis, de photos. Il y a longtemps que je voulais utiliser ce matériel, mais je n'en avais pas encore eu l'occasion. Et puis Alain Beaulet est venu me voir en me proposant son idée d'éditer de petites boites comme celles que l'on trouvait au début du siècle et qui contenaient des plaques photographiques avec chronologie dans les images. Il me proposait de faire imprimer mes illustrations en sérigraphie et j'ai choisi comme support un papier ivoire qui me permettait de ramener des lumières avec une encre blanche très épaisse. Je pense toutefois que les images auraient pu être plus grandes et le tirage un peu moins important.

Les couleurs de votre sérigraphie Desafinado parue chez Anagraphis ont dérouté certains de vos admirateurs...

Mon problème avec les sérigraphies, c'est que dans mon travail habituel, comme je l'ai déjà dit, j'utilise des modelés dans les couleurs. Il y a ainsi des surfaces qui vibrent. Lorsque je dois me servir d'applats, il faut donc que je compose tout autre chose. J'avais eu quelques ennuis avec la première (Près du Soudan) qui était dans des tons bleus et d'ocres et pour la deuxième, j'ai voulu faire quelque chose de plus vif, couleurs plus vives sans essayer de retrouver l'aspect de l'aquarelle.

En ce moment, je prépare un portfolio pour l'Atelier avec sept couleurs opposées. Un .rouge, un vert, une jaune, un rose, un bleu, un ocre et un noir pour le trait. Ce sera très fauve, très coloré. C'est une démarche intéressante sur laquelle je ne me pencherais pas nécessairement si l'on ne me faisait pas ces propositions de travail. Et puis je ne vais pas faire toute ma vie la même chose. Sur les couvertures de Coeur de sable et d'Arrière saison, on retrouve trop les mêmes dominantes. La prochaine pour Barney représentera un intérieur, elle sera beaucoup plus noire. Il faut changer et casser un peu les habitudes...

Comment êtes-vous entré dans l'écurie des dessinateurs Casterman ?

C'est un peu à partir du projet Coeur de sable qui correspondait tout à fait à ce que produisait Casterman et (à suivre). En plus il y avait un truc qui m'avait assez déplu sur Clichés d'amour qui est paru aux Humanoïdes Associés. J'avais réalisé 18 pages d'une BD qui s'appelait La nuit de l'alligator. Elles devaient être prépubliées dans Métal Hurlant, j'étais pressé car je partais au Maroc. En fait, les planches ont été supprimées du canard et sont passées directement dans le bouquin.

Ce sont des choses que je n'apprécie pas trop et je me barre dans ces cas-là, je ne cherche pas à discuter. Ce que j'ai commencé pour Chic aurait très bien pu paraître dans Métal et Arrière saison serait sorti aux Humano. Je pensais toutefois continuer à bosser de temps en temps avec eux mais ils étaient un peu intransigeants, c'était soit tu restes soit tu te casses... Ce qui est dommage d'ailleurs parce que je me trouvais bien à Métal, j'aimais l'esprit du journal..

D'autre part, il est évident que Casterman est la meilleure maison d'édition sur la place et quand on peut y entrer, on n'hésite pas.


Je dois beaucoup aux gens qui m'ont fait confiance au début

Est-ce que Coeur de sable a été mis en chantier en fonction du support de publication?

Je ne me rappelle pas exactement à quel moment nous avons pensé à (à suivre). Nous savions que notre travail était apprécié à la rédaction car nous avions eu de bonnes critiques à l'occasion de la parution de nos albums précédents. C'est vrai qu'il y a parfois un aspect un peu ingrat à se tourner vers tel éditeur plutôt que vers tel autre. Les Humanos ont pris des risques pendant des années en défendant des choses nouvelles. Les deux bouquins que j'ai fait chez eux étaient quand même un peu expérimentaux. D'autres qu'eux auraient pu trouver que cela manquait de maturité et je n'aurais peut-être pas été motivé pour continuer. Je reconnais tout à fait que je dois beaucoup aux gens qui m'on fait confiance au début.

Mais ça c'est le bizness (rires)...

 

Racontez nous la genèse de votre album édité par Yann Rudier...

A l'époque je connaissais Rudler parce qu'il avait une librairie de BD qui s'appelait Le lotus bleu et qu'il circulait dans le milieu. Il m'a proposé de reprendre tous les petits dessins parus dans Rock & Folk. Personnellement, j'avais envisagé de les réunir et d'essayer de les publier à compte d'auteur. Je lui ai donc fait confiance. Ce qui est dommage, c'est que le bouquin a été assez mal pensé. Il ressemblait plus à une revue qu'à un véritable album, le papier était très cheap. Je crois qu'il aurait fallu faire quelque chose de plus épais avec un dessin par page. Ça aurait pu être mieux...


Vous avez illustré une nouvelle de Bram Stocker pour Futuropolice...

J'adore cette collection, quatre bouquins reliés réunis dans un petit coffret. Lorsqu'on m'a proposé ce boulot, j'ai accepté tout de suite l'idée mais j'ai été très déçu par le texte qui m'a été confié. C'est d'autant plus regrettable que j'aime bien Bram Stocker.

Cela ne fait-il pas de tort à un auteur de se disperser chez plusieurs éditeurs ?

En ce qui me concerne, il n'y avait pas d'autres solutions, chaque bouquin est paru chez l'éditeur qui lui convenait le mieux. Pour les Humanos et Casterman, nous en avons déjà parlé. Arrière saison ne pouvait pas être publié chez Casterman puisqu'ils ne font pas de compilations de petites histoires. Zénata-Plage ne pouvait sortir à l'époque que chez Magic-Strip... De toute façon, j'aime beaucoup m'aventurer dans des expériences éditoriales variées comme ça et d'ailleurs j'essuie très souvent les plâtres de nouvelles collections ce qui est plutôt bien car au départ il n'y a jamais de moule trop précis. C'était le cas avec Rudler, avec Magic-Strip, avec Alain Beaulet pour La petite boîte. Actuellement je termine un portfolio pour l'Atelier qui inaugure lui aussi un nouveau format. Souvent ce sont des gens qui me proposent une collaboration alors je ne vais pas prendre leur idée et aller chez quelqu'un d'autre... J'ai rarement l'occasion de travailler avec Futuropolis parce qu'ils ne font pas de couleur mais lorsqu'ils m'ont offert d'étrenner la première livraison de leur collection X, j'étais très content. En fait on me trouve chez plusieurs éditeurs mais avec des produits complètement différents.

 

Quels rapports entretenez-vous avec chacun d'eux ?

Avec Casterman tout se passe très bien. Plus l'éditeur est petit, plus je peux intervenir sur le produit final et en contrôler le devenir. Pour certaines petites choses, je connais tous les circuits de distribution. Lorsqu'il s'agit de grosses maisons, je suis un auteur parmi tant d'autres.

Quels sont les auteurs que vous appréciez ?

En ce moment j'aime beaucoup Burns. J'ai acheté une de ses sérigraphies et son bouquin Big Baby qui est un chef d'oeuvre J'aime Munoz, Alex Barbier, Mattotti et aussi le dernier Schultheiss, Le théorème de Bell.

En général, les BD qui me plaisent bien, ce sont des BD comiques comme Maurice le cow-boy de Kamagurka, les histoires de Piotr ou celles de Petit-Roulet et Martiny, de Vuillemin aussi... Lorsque l'humour n'est pas trop présent, je regarde vachement la forme et le style...

La louange semble généralisée pour Casterman ?

Ce sont eux qui ont la plus forte puissance de vente et ce sont eux qui promotionnent le mieux leurs auteurs. Ils sortent moins d'albums que les autres mais ils s'en occupent vraiment.

Accepteriez-vous de nous communiquer le tirage de vos différents albums ?

Environ 20 000 exemplaires pour Coeur de sable, 10 000 exemplaires pour Arrière saison, mais il s'agit de la première édition. Trois ou quatre mille exemplaires pour les autres titres.

 

Sont-ils traduits et vendus à l'étranger ?

Coeur de sable est publié en danois, en allemand, en flamand, en italien, en espagnol et en grec. Rien sur le marché anglo-saxon. Nous avons essayé avec Cliché d'amour, mais ça n'a rien donné. Beaucoup de gens se sont cassés lis dents sur le marché américain.

Personnellement, je suis justement très gêné par ce côté vedettariat. Il y a quelques années, on ne voyait jamais les dessinateurs nulle part. Maintenant je passe à la télé, mon attachée de presse me demande de participer à des jeux débiles et ça, ça m'ennuie un peu.

Quels rapports entretenez-vous avec la publicité ?

J'ai pris un agent récemment. J'ai un style qui est assez difficile à placer parce qu'en général les gens sont rebutés par le physique de mes personnages. Inversement. ils aiment bien les couleurs, les lumières. A ce jour, j'ai fait quatre boulots vraiment bien mais lorsque toutes les conditions sont requises pour que l'expérience soit intéressante, on a assez rapidement le sentiment de tourner en rond et de refaire des trucs que l'on a déjà exploité mille fois. Les directeurs artistiques choisissent sur ce qu'ils connaissent et moi, on m'a surtout demandé des illustrations dans l'esprit de New York / Miami. En plus il y a souvent des tas de contraintes, il y a toujours un client qui peut donner son avis sur tout et remettre en quelques secondes votre travail en question. Mon agent m'évite tous les problèmes de fric et de démarchage. Il tourne dans les agences, montre mon dossier et lorsqu'on lui propose un boulot qui pourrait me convenir, il m'appelle et je prends le relais. En fait, mon dossier est surtout composé de grandes illustrations tirées de Zénata-Plage par exemple. Je ne suis pas du tout un dessinateur BD qui fait de la publicité comme peuvent l'être Chaland, Benoît ou Clerc.

 

Que pensez-vous des travaux de commande ?

C est assez lucratif en général. Je ne cours pas après la publicité mais quand on me propose quelque chose, je regarde...

Quels sont les tarifs pratiqués par les agences ?

Tout dépend de l'utilisation qui est faite du dessin. On ne paye pas de la même façon un 4 X 3 dans le métro et une petite pub dans un journal. C'est l'agent qui rixe les prix mais c'est en général bien supérieur à ce que peut offrir la presse ou l'édition. C'est d'ailleurs un peu le rôle de l'agent que de discuter et de marchander. Il connaît bien le milieu et les tendances du marché. Moi je pourrais très bien demander une certaine somme alors que le type en face de moi est prêt à lâcher trois fois plus...

 

Parlez nous des autres domaines de création qui vous passionnent.

j'aime tout ce qui concerne l'image, le cinéma, la photo, la peinture. Mais tout ça est très lié. On peut considérer que le portfolio que je réalise en ce moment pour l'Atelier ou certaines cases d'Arrière saison sont des préparations à de grands tableaux que je mettrai peut-être un jour en chantier. J'ai vraiment envie de faire de la peinture mais il y a un problème de temps, de disponibilité...

Une fois, je me suis attaqué à une toile, j'ai travaillé une semaine dessus et au bout du compte il y avait une seule image, assez pauvre d'ailleurs. Ce n'était pas autre chose que quand je fais une aquarelle en une journée. J'ai déjà parlé de tout ça... Je crois que J'aurais du mal si je faisais de l'huile à passer un mois sur un même truc. J'ai toujours tendance à vouloir montrer un maximum de choses que j'ai dans la tête. Enfin, je dis ça maintenant parce que je ne me suis pas véritablement colleté avec la pâte et la toile.

 

Il y a des tableaux aux murs de votre apparentent ...

Ouais j'aime bien être entouré d'images. J'échange ou j'achète des choses qui me plaisent. Dernièrement, j'ai craqué pour un original de Crumb. J'ai aussi des illustrations de Slocombe, de Serge Clerc. Dans le salon, les peintures sont de Dominique Ehrhard.

 

Vous suivez ce qui se passe dans ce domaine, les expositions, etc... ?

Oui, bien sûr !

 

Etes-vous collectionneur ?

Oui, j'ai tendance a beaucoup chiner. Je cherche surtout du vieux papier. Je cours les brocantes et les marchés pour trouver des Ciné-Roman, de vieilles revues. J'en ai beaucoup et je me trouve maintenant confronté à un sérieux problème de stockage...

 

Je suis parfois à la recherche de musiques silencieuses

 

Ecoutez-vous de la musique ?

Bien sûr ! Beaucoup de rock, un peu de jazz, quelques musiques de films, Nino Rota et souvent des trucs très opposés. Un jour je peux écouter Les Cramps ou Les Météores et le lendemain Erik Satie... Ma chaîne est continuellement allumée et je ne peux pas me fixer sur des trucs trop durs. A la limite, je suis parfois à la recherche de musiques silencieuses. Je n'écoute que très rarement les radios...

 

Quelles sont vos références littéraires ? Cinématographiques ?

Pour ce qui est des références littéraires, cela va des auteurs américains comme Tennesse Williams, Truman Capote, Fitzgerald ou Corson Mac Cullers à des auteurs français comme Simenon, Modiano. Enfin, ce sont ceux que j'ai en tête maintenant...

Pour le cinéma, je suis très éclectique, cela va de Fellini à Wenders en passant par Peckinpah ou Kubrik. Je ne déteste pas non plus les petites productions policières ou d'horreur. En fait, je suis un gros consommateur de films...

On retrouve dans vos histoires des ambiances proches de celles qui caractérisent le cinéma de Wenders. On perçoit une certaine connivence...

Oui, des films comme L'ami américain ou L'état des choses me touchent beaucoup, c'est vrai qu'il y a une similitude dans la façon d'appréhender l'espace, dans les cadrages, dans la mise en images du temps qui passe.

N'avez-vous jamais songé à faire du cinéma ?

C'est vrai qu'il y a un parallèle évident entre la bande dessinée et le cinéma. Dans l'élaboration d'une grande histoire, il y a tout un côté découpage, story board, choix des personnages, assez proche de la démarche que doit suivre un réalisateur.

J'aime vraiment le cinéma mais je ne sais pas si je souhaiterais mettre le doigt dans l'engrenage. Il faut souvent galérer à partir du projet initial, travailler en équipe et surtout diriger les acteurs, choses auxquelles je suis complètement étranger. Et puis je devrais abandonner pour quelque temps le monde du papier et de l'encre..

.

Vous avez participé cette année au Be festival du court métrage à Clermont-Ferrand. Vous étiez membre du jury...

Ce fut une expérience plutôt sympathique qui restera un bon souvenir. L'intérêt d'une telle manifestation c'est que l'on peut y voir des films qui ne passent pas dans le circuit traditionnel et qui ne sont parfois jamais projetés ailleurs. Je pensais y retourner l'année prochaine mais cela risque d'être moins agréable : je ne serai plus invité et on s'occupera pas de moi (rires).


Interview réalisée à Paris le 23 avril 1986

par Thierry Décombas et Pierre Skrzypczak.

  © Comixland/P.L.G.P.P.U.R.