Loustal passe
au verre
Amoureux de techniques différentes, Loustal présente
cette fois ses peintures « fixées sous verre ». Un
travail qu'on effectue à l'envers et dont sont friands
les Africains qui déclinent ainsi à l'infini la
couverture de Tintin au Congo...
Qu'est-ce que les fixés sous verre ?
Jacques de Loustal : Une vieille tradition de la
peinture. On en retrouve au
XVIIIe
siècle (ou 18e siècle) dans des motifs religieux
ou des ex-voto. Ma rencontre avec cette forme de
peinture s'est faite grâce à des peintres africains. Ils
la pratiquent notamment au Sénégal (
http://www.au-senegal.com ) . Dans ce pays, mais
aussi au Bénin, au Congo, une de leurs spécialités est
de décliner la couverture de Tintin au Congo. J'en ai
acheté plusieurs lors de mes voyages.
Artiste: Touré Bamba TinTin a Tombouctou
Loustal
Comment procédez-vous ?
Aucun repentir n'est possible avec cette technique. Je
fais une photocopie miroir de mon dessin, je pose ma
plaque de verre dessus et décalque mon dessin à
l'envers. Je peins d'abord le noir et, avant d'avoir
terminé, je signe à l'envers. Je mets les cou-leurs une
fois que le trait noir est fait. Des couleurs très
opaques. Selon les pigments, il faut passer plusieurs
couches. Si l'on dis-cerne les traits de pinceau, c'est
moins beau.
Quels plaisirs vous apporte cette technique ?
La trace du noir est très plaisante sur cette surface
incroyablement lisse qu'est le verre. Peindre ces
surfaces n'a rien à voir avec le travail à l'aquarelle
ou à la peinture à l'huile. Il faut poser ses couleurs.
Et quelle satis-faction, à la fin de la journée, quand
on retourne la plaque, de découvrir le dessin tel qu'il
sera montré. Au début, du côté où on travaille, on ne
discerne que de grosses taches de couleurs les unes à
côté des autres. J'ai essayé avec un verre antireflet,
mais ça n'allait pas. Le reflet, la brillance font
partie du langage de ces objets.
Est-ce une technique très pratiquée ?
Sur Internet, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une forme de
peinture vécue comme une activité de loisir, un peu
comme le macramé. Pour certains, je me demande encore
quelles méthodes leurs auteurs ont bien pu employer !
J'aime découvrir de nouvelles techniques qui vont
m'amener à un autre genre de représentation. Les images
que j'ai en tête, je les pense en fusain, à l'aquarelle,
en peinture, etc.
C'est l'Idée qui dicte la technique à utiliser ?
Elle doit être la plus adaptée possible au dessin
désiré. Ici, il faut un trait très épais et des motifs
épurés.
Dans cette exposition, on retrouve des peintures
grattées. Rien à voir ?
Ces techniques sont cousines. J'ai commencé ce genre de
peinture pour me délasser après le travail à l'huile,
assez minutieux. La peinture grattée, c'est un peu
l'inverse. Je pose des masses de couleurs un peu floues,
puis, avec un bambou, je dessine
Quand je travaille au fusain, je suis beau-coup plus
zen. Il n'y a que le fusain et la feuille blanche de
papier. Quand je fais des fixés sous verre, c'est tout
un bordel, avec des petits pots de peinture ouverts
partout. Et l'essence. J'en ai plein les maire.
L'aquarelle, elle aussi, est beaucoup plus zen. On est
dans l'eau, les gros pinceaux, le papier mouillé, c'est
autre chose. Et puis il y a l'huile. Là, je travaille en
vertical, donc l'engagement physique n'est pas le même.
J'aime bien explorer tous ces trucs, diversifier mon
travail. J'ai essayé beaucoup de méthodes, et j'en
essaierai d'autres.
Toutes vous font envie ?
Non, quand même pas. Je ne toucherai pas, par exemple, à
la carte à gratter. Tous les dessins à la carte à
gratter se ressemblent un peu. Avec un artiste au-dessus
du lot Thomas Ott. Un génie dam le genre. Donc, cette
technique je la regarde, je l'apprécie, mais je ne pense
jamais m'y frotter.
Le travail sur cuivre vous a fait changer votre travail
à la plume. La peinture sous verre a-t-elle aussi
influencé votre travail ?
Il y a des tas de passerelles. A une époque, je
réalisais tous mes dessins de voyages directement au
pinceau. Découvrir la peinture sous verre m'a donné
envie de travailler durant mes voyages selon cette
méthode. De la même façon, quand j'en avais assez de
dessiner avec ces pinceaux durant mes voyages, je
m'étais remis au crayon. Et, du coup, réalisé quelques
BD au crayon. Dans la gravure, les toiles grattées, je
trace les lignes avec un petit morceau de bambou.
Exactement comme quand je gravais du cuivre. Chaque
tech-nique enrichit l'autre.
Pas de préférence ? Le choix dépend toujours des choses
à représenter, du moment ?
Quand le ne fais pas de BD, je peins. Puis j'en ai marre
et passe à autre chose. J'adore faire de grands fusains,
de grands paysages urbains. Ma prochaine exposition leur
sera entièrement consacrée. J ai besoin de changer. Tous
ces fixés sous verre... au bout d'un moment, je n'ai pas
été mécontent de tout ranger !
Dans Casemate 4, vous faisiez le rapprochement entre le
travail au fusain et un maçon qui monte son mur.
À l'époque, je dessinais beaucoup de murs. J'aime le
fusain pour son côté très spontané, très énergique, pas
laborieux du tout. Vous trouverez beaucoup de dessins au
fusain dans mon dernier livre, Esprits d'ailleurs, mais
ils auraient pu aussi bien
être faits à l'encre de Chine et â la pl…, Sauf que ce
serait mortel, j'ai passé I.. Avec le fusain, c'est
extraordinaire. Il.. de penser qu'on est en train de des
… de l'eau, un nuage, un arbre ou une p… et le fusain
obéit.
Certaines de ces femmes vues de face, je serais
incapable de les dessiner de profil. Ou l'inverse.
À quel métier associeriez-vous le fixé sous verre ?
À un travail qui comporte beaucoup d'étapes artisanales.
Une fois qu'on a tracé le dessin au noir et qu'on sait
où on va, grâce à Photoshop je pourrais laisser la suite
à des assistants. Je n'irais pas jusqu'à faire le
parallèle avec le peintre en bâtiment, mais il y a
vraiment un côté artisan dans toute une partie de
l'élaboration de ces fixés sous verre. Ce qui fait aussi
qu'au bout d'un mois, on est content de passer à autre
chose l Mais les moments qu'on y consacre sont des
moments rares. Je suis toujours pressé de me rendre à
mon atelier, le lendemain matin, pour retourner à
l'endroit ma peinture enfin sèche et l'encadrer.
Alterner les techniques, c'est conserver une certaine
excitation ?
Oui, et laisser parler le matériau. Parfois, on aboutit
à autre chose que ce que l'on imaginait. Un peu comme la
sérigraphie. Quand on donnait une gouache, à l'époque,
au sérigraphe, on lui laissait toujours une part
d'interprétation.
Vous alternez les techniques, mais aussi le solaire et
le sombre.
Je suis influencé par tous les peintres allemands
Beckmann, Otto Dix, et aussi par les Gauguin, les
Modigliani, les Matisse, les Hockney... J'ai besoin de
cela.
Quelle que soit votre technique, on reconnaît votre
patte.
À la base de toutes ces techniques, il y a un dessin,
toujours le même. Quand je commence une BD, je fais mes
crayonnés des premières planches avec mon dessin •
naturel ». Une fois que j'ai cette base, j'essaie de
nombreux outils différents à la table lumineuse, pour
voir ce qu'ils vont rendre. Mais à la base, les
personnages, par exemple, sont toujours un peu pareils.
Il n'y a pas de gros nez !
Trouvez-vous difficile de raconter quelque chose en une
image ?
C'est par cela que j'ai commencé ! Il m'intéressait de
montrer une situation en une image, et d'imaginer ce
qu'il pouvait se passer après. Une image accompagnée
d'une ligne de texte. C'est ce que j'ai fait, à mes
débuts, dans Rock & Folk. Je suis venu à la BD
uniquement parce qu'à la fin des années soixante-dix, ce
qui se passait dans Métal Hurlant, par exemple, n'était
pas très loin de ce que je faisais avec mes images
légendées. Du coup, tout seul puis avec Philippe
Paringaux, je me suis mis à dessiner des histoires
courtes. On me qualifie parfois d'auteur de BD. Non. Je
suis un dessinateur de BD qui n'invente jamais
d'histoires. Je les mets simplement en scène. J'aime
développer les ambiances, les atmosphères. Des tas
d'images, de situations me génèrent plein d'idées,
d'ambiances, de personnages évoluant dans des
intérieurs. Mais je suis infoutu de développer ce qui se
passe entre eux ! C'est pour cela que j'ai toujours
travaillé avec des écrivains qui, eux, savent inventer.
L'expo montre une série de portraits de femmes.
Existent-elles ?
Non. C'est un travail de graphisme sur les visages, les
lignes. J'adore jouer avec les différents codes
graphiques du visage, le nez, la bouche, les yeux, la
forme autour... C'est presque de la calligraphie. Ces
portraits sont des dessins très spontanés. Le problème
est de varier les visages tout en conservant une sorte
d'esthétique. Pas toujours évident. Ça va encore quand
je les représente une seule fois. Certaines de ces
femmes vues de face, je serais incapable de les dessiner
de profil. Ou l'inverse. Je ne pourrais tourner autour.
Cela reste de la 2D.
Pourquoi donner des prénoms à des femmes qui n'existent
pas ?
Il faut bien titrer les tableaux, et je ne voulais pas
mettre Portrait 1, Portrait 2, etc. Suzanne, Nina,
Mathilde... Un nom fait un peu rêver. J'évite de mettre
des prénoms de gens que je connais trop.
Qu'est-ce que Mon film » ?
Une revue des années trente-quarante sur le cinéma. J'en
ai énormément de numéros. On y trouve très souvent en
couverture des couples d'acteurs tirés de films. Une
source qui m'a énormément inspiré, que j'ai beaucoup
utilisée dans mon travail. J'ai donc voulu que • Mon
film • soit présent dans cette exposition.
On y découvre aussi de nombreuses scènes de bars.
J'aime les rapports qui s'y établissent entre les gens :
une sorte d'attente, de désir d'inconnus assis les uns à
côté des autres. J'aime la structure, la lumière, les
gens qui se regardent, les attentes... Allez-vous les
observer sur place ? Je m'inspire beaucoup de photos de
bars d'une certaine époque, celles de Doisneau par
exemple. Ou de peintures, comme celles de Hopper. Je ne
suis pas du tout le genre pilier de bar qui débite des
conneries à une barmaid. Mais j'aime bien ces gens.
J'aime les..
http://www.au-senegal.com/les-peintures-sous-verre-art-populaire-du-senegal,066.html?lang=fr
.. structure, la lumière, les gens qui se regardent, les attentes...
Vous appréciez aussi les scènes nocturnes.
J'adore, même à l'aquarelle, travailler la nuit, les
lumières électriques. Pour tout ce qui est peintures
grattées, on y est un peu obligé. Cette technique
nécessite des cou-leurs très denses. Il y a beaucoup de
pas-sages nocturnes dans mes BD, elles ajoutent tout de
suite un mystère supplémentaire. Aujourd'hui, la journée
est vraiment pourrie. Dans mon atelier, il fait tout
gris. Eh bien, dès qu'il va faire nuit, tout va
s'allumer, tout va devenir beaucoup plus beau. Les
villes, je préfère les voir la nuit. Par contre, le
soleil va très bien aux grands Paysages.
Grands paysages, portraits, c'est le même plaisir ?
Ça dépend la manière dont je les peins. Travailler des
personnages à l'huile m'est beaucoup plus complexe que
les grands paysages épurés que j'ai présentés lors de ma
dernière expo. Et plus long. Ma récompense, c'est
qu'ensuite, pour moi, le personnage existe. De toute
façon, je ne peins que des choses que j'ai plaisir à
peindre. La peinture reste une recherche personnelle. Je
n'accepte jamais de commande en peinture sur toile, car
je ne sais jamais où je vais. À quoi, au final, elle va
ressembler. Pour une commande, j'utilise par exemple
l'aquarelle. Sans problème.
Ne pas maîtriser le résultat, est-ce rageant ou excitant
?
Il faut laisser parler le matériau. Je fais tout cela
pour me surprendre. Si j'utilise un des-sin différent
dans chaque album de BD, c'est pour ne pas m'emmerder.
Quand je commence un 60 planches, si dès la première je
sais qu'il va ressembler à tel ou tel album précédent,
je n'aurai pas de sur-prise. Et je déteste cela.
Travaillez-vous sur un album ?
Oui. J'en suis à cette période excitante durant laquelle
je mets au point une nouvelle façon de dessiner, avec de
nouveaux outils. Pour les deux précédents albums,
j'étais revenu à la plume. J'en ai eu marre.
Aujourd'hui, ce que je fais se nourrit de mon travail au
fusain, au crayon, aux mines grasses, avec un peu de
noir, un peu de pinceau. Le tout va être photocopié de
façon à ce que ces noirs différents soient uniformisés.
Ensuite, je vais aquareller ce Black Dog, une histoire
très noire de Götting. Pour Casterman. Ce qui me branche
surtout, ce sont les ambiances. J'avais envie de me
plonger dans tout le cinéma noir américain des années
soixante-dix à quatre-vingt.
Une exposition, pour vous, est-ce presque de la routine
?
J'en ai fait un certain nombre, mais il reste parfois
une sorte d'angoisse. Ce genre d'expo n'a rien à voir
avec celles où on retrouve les originaux
d'illustrations, de dessins déjà publiés ou de BD. Là,
émotionnellement, je m'en fous. En revanche, chez
Champaka, je montre des choses que personne n'a vues.
Ça, c'est angoissant. Mais aussi plus excitant.
Propos recueillis par Sonia DÉCHAMPS
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