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2009 Beaux Arts Hors-série n°4 du 11 juin 2009

 

Les secrets des maîtres de la BD astuces, techniques & dessins inédits Reportage Le musée Hergé

Jacques de Loustal, l'illustrateur,
p 126 - 131

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Jacques de Loustal, l'illustrateur 

Profondément influencé par le rock et les voyages, Jacques de Loustal compose avec Philippe Paringaux une œuvre sensible, toute en clair-obscur, entre le noir de ses personnages cassés par la vie et la lumière de l'Afrique.  

Jacques de Loustal travaille toujours en musique, c'est lui qui le dit et qui le fait entendre. Le lecteur s'imaginera aussitôt, en souvenir de ses albums emblématiques (Barney et la note bleue en premier lieu) ou de ses huiles sur toile baignées de soleil et de couleurs chaudes, que l'artiste se dope au jazz méditerranéen, à la bossa-nova, éventuellement aux régions stellaires coltraniennes.

Mais Loustal est surtout un enfant du rock. Il a débuté dans Rock and Folk, et son vieux complice au scénario est Philippe Paringaux, qui fut longtemps le rédacteur en chef de la revue. Plutôt que Stan Getz et Joào Gilberto, Loustal confesse un goût pour J. J. Cale et Neil Young, mais aussi pour... Nine Inch Nails et Joey Ramone. Là réside sans doute le secret de la création chez Loustal. Derrière le calme apparent de ces aplats de couleur se dissimulent une formidable énergie et une rage patiemment contrôlée.

LA PUISSANCE DE LA COULEUR

C'est à la suite d'un séjour prolongé au Maroc comme coopérant qu'il est ébloui, à la manière d'un Delacroix, par la puissance de la couleur, la lumière phénoménale en même temps que l'étrange clair-obscur, qui se dégagent de ce pays qui inspire les artistes depuis longtemps. Mais ses inclinations nouvelles se traduisent simultanément par un refus du pastel, trop édulcoré, trop délavé, trop compromettant pour son propos. Les encres de couleur, intenses et affectives, seront son matériau de prédilection dans la mise en scène de ses histoires. Des histoires de violence et de haine, qui balancent entre le monde de la mafia new-yorkaise rouge comme le sang (White Sonya, les Frères Adamov), et celui, vicié, du colonialisme à la française, écrasé par le soleil du Maroc et du Sénégal (Cours de sable, Kid Congo). 

LES CRAYONNÉS PHOTOCOPIES

La parution de Kid Congo en 1997 esquisse précisément une petite révolution dans l'approche de Loustal. C'est son tournant Fernand Léger, le premier album où il s'attache à travailler la lumière directement sur le noir et blanc, en amorçant un volume avec un rehaut de crayon. Le changement, saisissant, donne aux corps, aux formes, aux silhouettes, une consistance et une épaisseur nouvelles. Puis, regrettant que le dessin préparatoire au crayon soit trop gris, il décide de travailler sur photocopies, un procédé qui permet de noircir considérablement le trait et le rendu. Depuis, l'équilibre de la planche, qui trouve son apogée dans le Sang des voyous, semble parfait, en attendant son adaptation de Coronado, une courte pièce de théâtre de l'Américain Dennis Lehane (auteur, entre autres, de Mystic River). Un équilibre qu'il atteint, certes, avec ses travaux en bande dessinée, mais aussi dans ses illustrations et ses peintures. Ses expositions dans de très nombreuses galeries lui permettent ainsi de rencontrer des artistes contemporains de premier plan (Pat Andrea, Tony Soulié), une source de réflexions fructueuses sur son propre travail. Son atelier regorge de planches, tableaux et affiches, témoins d'un éclectisme éclairé. Originaux d'anonymes africains ou vietnamiens découverts au cours des multiples pérégrinations de l'auteur, de Romain Slocombe et François Avril — des proches—, mais aussi de Robert Crumb et Daniel Clowes, avec qui Jacques de Loustal a récemment échangé des illustrations, selon l'usage en vigueur entre créateurs de renom.

Et puis, comme un clin d'œil, toujours, à la musique, il faut évoquer ces sessions de dessin informelles qui regroupaient encore, il y a peu, outre Jacques de Loustal, Moebius, François Avril, Lorenzo Mattotti et André Juillard. Comme dans un bœuf réunissant quelques prodigieux guitar heros, les membres du quintet composaient autour d'un thème donné, et un tirage au sort permettait à l'heureux gagnant d'emporter la production du jour. Pour la beauté du geste et le plaisir du dessin.

ROMAIN BRETHES

 

 

 

 


 

1. La «une» qui marche

SPÉCAL VOYAGES Chaque printemps, Françoise Mouly, directrice artistique du «New Yorker», demande au bourlingueur Jacques de Loustal d'illustrer le numéro «spécial Voyages». L'illustrateur propose un rough, qui est ensuite retravaillé selon les indications de la DA. Cas exceptionnel ici: l'esquisse a été immédiatement validée (1). C'est pourquoi on retrouve les mêmes principes de dessin jusqu'à la couverture finale (2).

2. Du story-board à la planche 

Pour cette 12e planche de l'album «le Sang des voyous» scénarisée par Philippe Paringaux, on assiste ici à toutes les étapes de l'élaboration d'une planche de BD. Loustal reçoit d'abord le script, sans indication. À partir de là, il compose un story-board rapide (1), qu'il renvoie au scénariste. Paringaux réécrit le scénario selon la mise en scène de Loustal, qui élabore ensuite une mise en place au crayon (2). Pour conserver toujours le même type de trait, il se sert de stylo à la mine de plomb rétractable, de 0,7 et 0,9 mm. Cette mise en place est ensuite améliorée, c'est le crayonné (3). À noter: Loustal écrit les textes de Paringaux avant d'exécuter le dessin final, pour ne pas être gêné ensuite par le volume des textes. Ensuite, au lieu d'encrer son crayonné comme le voudrait la méthode traditionnelle, Loustal le photocopie avant de passer à la mise en couleur. Dans cette planche, on observe deux ambiances, un intérieur nuit et un extérieur nuit. Loustal passe alors un «jus» de couleur, différent selon les ambiances. Puis il colorie au pinceau à l'aide d'encres Colorex ou Écoline pour arriver à la planche finale prête à être scannée puis imprimée (4). Remarque: Loustal n'illustre jamais le texte de Paringaux stricto sensu. Par exemple, lorsque Paringaux écrit: «Il haussa les épaules et sortit son portefeuille» (5), Loustal dessine, lui, le personnage l'instant d'après. C'est tout l'art de la bande dessinée, texte et dessins se complètent sans s'annihiler.

Jacques de Loustal Story-board, esquisses et mise en couleur finale d'une planche extraite du Sang des voyous, scénario de Philippe Paringaux, publié par Casterman en 2006, dessins inédits, mine de plomb, encres de couleur 'et crayons gras. © J. de Loustal/Casterman.