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"AUTEUR DE BANDE DESSINEE PIONNER
DANS LA PUBLICATION DE SES CARNETS DE VOYAGE, JACQUES DE LOUSTAL EST UN
GRAND VOYAGEUR.
De New York, Miami à Kid Congo, l’exotisme
et le dépaysement sont des composantes majeures de son œuvre. Loustal
voyage, dessine, photographie, comme un écrivain prend des notes.
« J’ai toujours adoré
voyager. Mais avant de voyager, j’adorais regarder les cartes et me
promener dans les atlas… ». Pour un auteur qu’on a souvent
taxé de littéraire, cet aveu pour l’amour des livres est à l’image
du plaisir que l’on prend immédiatement en ouvrant un ouvrage de
Loustal. Que ce soit en prenant une bande dessinée ou un carnet de
voyage, c’est le même appel du large, la même envie de s’évader, de
découvrir autre chose que la banale réalité de notre quotidien. Depuis,
le début, les titres de ses livres parlent d’eux-mêmes : Arrière
saison, Zénata plage, Cœurs de sable, Kid Congo… Jusqu’à son
dernier ouvrage publié l’année dernière, Touriste de bananes, adaptation
d’un roman méconnu de Georges Simenon – dont Loustal est un grand
admirateur – et qui raconte ces drôles de touristes qui fuyaient la
France pour les colonies, pensant qu’on pouvait y vivre simplement en
mangeant des bananes.
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Auteur de bande dessinée, illustrateur,
c’est aussi la possibilité de voyager et Loustal ne crache pas sur un
petit déplacement tout frais payés. En fait, toutes les occasions sont
bonnes pour faire une petite virée loin de la grisaille parisienne :
festival, repérages, dessins pour une affiche ou une illustration :
« Dans mon métier, je suis amené à
souvent voyager, à travers les instituts français par exemple, les
centres culturels, les festivals de BD, dans des pays où je n’aurais
peut-être pas fait l’effort d’aller, comme en Roumanie, en Pologne,
ou en Islande. En fait, quand je voyage pour le travail, je le fais dans
des conditions formidables : je suis reçu par des gens qui
connaissent très bien le pays, je suis présenté à des artistes locaux,
etc. Je ne peux pas dire que c’est du boulot, c’est pas comme un mec
qui travaille dans une entreprise et quand il part à Hong Kong, il va au
sommet d'une tour En même temps, j’envie les gens qui ont une
profession où on les envoie comme ça tous les deux ans vivre comme
expatriés dans un pays étranger. Ce n’est pas la même chose quand on
est résident. La seule fois où j’ai vraiment vécu à l’étranger,
ça m’a beaucoup marqué, c’est quand je faisais ma coopération au
Maroc. J’ai vécu un an et demi dans une petite ville sur la côte
atlantique. Ca m’a beaucoup plu. En fait, j’ai toujours cette idée d’aller
m’installer à l’étranger, j’ai encore quelques années pour
ça. »
Au gré des travaux d’illustrateur,
les destinations varient : « Récemment, j’ai été très
marqué par des voyages en Amérique du Sud, j’y ai fait six
voyages : en Argentine, au Chili et en Equateur, car j’avais une
expo personnelle itinérante. Ces pays m’effrayaient un petit peu à
cause de toute la parano politique liée à ces endroits. En fait, j’ai
trouvé qu’il y avait avec nous européens une proximité humaine
beaucoup plus riche qu’avec les paysans du Middle-West par exemple. Il y
a un fond de culture commun. Nous sommes tous des latins. D’ailleurs, je
me suis remis à l’espagnol pour mieux profiter de ces pays. Le dernier
de ces voyages aux Galápagos était magnifique. Autrement, j’ai eu l’occasion
de faire un livre sur l’Indonésie publié chez Christian Desbois,
Java, et puis, j’ai aussi participé au projet
Kodansha des dessinateurs français au Japon. Les quinze jours à Tokyo
avaient été formidables. »
Boulimique de destinations, Loustal n’oublie
pas de se réserver des voyages personnels, en dehors de toute activité
professionnelle. Environ deux fois par an, de grands voyages sont
décidés, mais jamais pour trop longtemps, quinze jours au maximum. Comme
dans ses bandes dessinées, Loustal aime les îles dont on peut faire le
tour, les pays chauds : « J’aime les paysages marins, les
lumières liées à la mer, l’architecture marine. Les effets du sel et
du vent sur la terre sont des choses auxquelles je suis sensible… »
Et surtout, Loustal aime rapporter quelque chose de ses voyages :
« J’adore rapporter des images. J’ai
fait beaucoup de photos quand je tirais moi-même les négatifs. C’est
une activité que j’avais développée quand j’étais adolescent, dans
la salle de bains de mes parents et que j’ai abandonné il y a peu de
temps. »
Car ce qu’on sait peu, c’est que
Jacques De Loustal est aussi un excellent photographe, auteur notamment de
nombreuses vues panoramiques, assemblage de plusieurs photographies, à l’image
du travail de David Hockney sur ce sujet. De la même façon, Loustal
observe, dissèque, enregistre, parfois pour les besoins de son travail,
et expérimente les nouvelles technologies numériques : « J’ai
découvert un autre truc pour rapporter des images, ce sont les petits
caméscopes numériques, petits donc très discrets. Ca enregistre tout ce
qu’on veut avec une sensibilité très fine, comme un œil supplémentaire.
Je passe ça par la fenêtre de la voiture, je peux faire des arrêts sur
images, c’est vraiment trop facile, c’est incroyable. Ca m’a
beaucoup servi dans mes repérages pour la bande dessinée que je fais
actuellement avec Charyn, White Sonia, j’ai
pu filmer des scènes du Bronx plutôt difficile à prendre
habituellement. Après je fais des petits albums en imprimant sur une
imprimante vidéo des petites images. »
Les carnets de voyages de Jacques De
Loustal sont des petits bijoux de simplicité. En les feuilletant, il est
possible qu’on parvienne à partager la véritable intimité de l’artiste
en voyage, visitant sa chambre d’hôtel, se baignant dans les mêmes
eaux, partageant la même humanité. D’autant que l’exercice confère
une grande liberté créatrice : « Le carnet est un
principe très libre qui permet d’expérimenter de nouvelles techniques.
Un jour, je suis parti à l’île Maurice un peu rapidement, j’avais
oublié mon matériel en me disant bon, c’est pas grave, je vais trouver
des plumes là-bas. En fait, il n’y avait rien de tout ça, il n’y
avait que des pinceaux chinois que j’ai achetés dans un bazar et comme
il n’y avait que de l’encre bleue, j’ai commencé à faire ces
dessins au pinceau. C’était la première fois que j’expérimentais
cette technique. D’autres fois, je retrouve la possibilité d’utiliser
le Bic pour faire des hachures comme des sketchbooks de Crumb. C’est
très agréable car dans la bande dessinée, on est coincé du début à
la fin dans une certaine cohérence graphique. En illustration, c’est
pareil, on s’attend toujours à ce que je présente un certain type de
travail. C’est vrai que depuis que ces carnets sont édités, je ne suis
plus aussi innocent. Il y a aussi des moments où, le soir, je fais des
dessins en me rappelant de ce que j’ai vu. Ca, c’est autre chose, c’est
comme les notes d’un écrivain. A la base, il y a toujours ce plaisir de
ramener des livres remplis de dessins, c’est le principe du livre
unique. » Et puis, l’important n’est pas de rendre compte
exactement de la réalité : « Ce qui m’intéresse c’est
le résultat. Quand j’ai commencé à dessiner d’après nature, je
faisais ça au crayon avec ma formation d’architecte, c’est à dire
avec les perspectives. Un truc très chiant qui donnait lieu à des
dessins très scolaires, très laborieux, comme le font les étudiants en
architecture qu'on voit au Forum des Halles. Moi, j’ai appris les
perspectives dans des manuels du début du siècle destinés à des
militaires qui devaient aller dessiner des croquis topographiques,
utilisables en cas de guerre, et qui devaient donc, être très très
précis. C’est très bien, ça apprend la profondeur, mais en fait, on s’en
fout complètement de savoir si c’est exactement pareil. En fait, il y a
quelques années, j’ai vu une amie qui dessinait une voiture. Elle
commençait comme ça, par un bout, et elle s’en foutait complètement
de savoir ce que ça allait donner. Petit à petit, l’image de la
voiture devenait complètement déformée et ça donnait un dessin
finalement beaucoup plus intéressant. A partir du moment où on dessine l’arête
d’un mur tout le reste en découle. L’intérêt pour moi c’est le
résultat, c’est le dessin généré par le moment. Dès le départ, le
dessin de voyage, c’était un dessin de pur plaisir. Je suis bien dans
un endroit alors, pour prolonger un moment, je prends un carnet avec un
papier que j’aime bien, avec une plume qui fait un joli bruit sur le
papier, et je dessine. Il n’y a aucune idée de reportage là-dedans. Je
dessine ce que j’ai devant moi, au moment ou j’ai envie de dessiner. C’est
pour ça qu’aux Etats-Unis, c’est beaucoup plus difficile de le faire
parce qu’il faut s’arrêter. Les pays que je dessine sont souvent des
îles où je ne peux plus bouger. » En attendant le prochain
livre de bande dessinée de Loustal à paraître chez Casterman, une
histoire qui prend ses racines dans la violence du Bronx de New York, on
pourra, en janvier 2000, se régaler d’un nouveau carnet publié. Ce
sera juste après le prochain voyage. Destination : la Chine."
Vincent Bernière
© Bachi-Bouzouk - NUMERO
6, OCTOBRE
1999/ P.18,19,20,21
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