COULEUR DIRECTE

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COULEUR DIRECTE Ausstellungs- Katalog zum 1. Internationalen Comic Salon Hamburg 27.05- 30.05.1993. Meisterwerke des neuen französischen Comics mit Bildern und Bio- Bibliographie von Alex Barbier,  Edmond Baudoin; Beb-Deum, Philippe Bertrand, Frederic Bezian, Enki Bilal, Max Cabanes, Jean-Claude Claeys, Nicolas De Crecy, Michel Crespin, Jean-Claude Denis, Didier Eberon,Dominique Gelli, Annie Goetzinger, Jean-Claude Gotting, Emmanuel Guibert, Joly Guth, Rene Hausman,  Loustal, Moebius, Joel Mouclier, Jean-Michel Nicollet,  Francois Schuiten, Jacques Tardi, Stefan Thanneur, Alex Varenne, Vink.

    Couleur directe

Chef d'oeuvres de la nouvelle bande dessinée Française
Meisterwerke des neuen franzosischen Comics
Masterpieces of the new French Comics

1993.- Internationaler Comic-Salon Hamburg, ISBN 3-923102-86-0
Alex Barbier,  Edmond Baudoin; Beb-Deum, Philippe Bertrand, Frederic Bezian, Enki Bilal, Max Cabanes, Jean-Claude Claeys, Nicolas De Crecy, Michel Crespin, Jean-Claude Denis, Didier Eberon,Dominique Gelli, Annie Goetzinger, Jean-Claude Gotting, Emmanuel Guibert, Joly Guth, Rene Hausman,  Loustal, Moebius, Joel Mouclier, Jean-Michel Nicollet,  Francois Schuiten, Jacques Tardi, Stefan Thanneur, Alex Varenne, Vink.

 

 

La bande dessinée est-elle soluble dans la couleur directe ?

Depuis quelques années, des voix s'élèvent pour déplorer que la bande dessinée soit en train de perdre son assise populaire pour devenir un genre élitaire, un art de musée. Pourquoi se le dissimuler? La couleur directe comporte et implique ce risque. Oui, elle peut sans doute conduire à une dénaturation du médium. Du point de vue théorique, il me semble que le débat sur ce point se résume, en réalité, à une seule question. Y a-t-il ou non contradiction entre les deux modes de participation distincts et concurrents que semble réclamer du lecteur une BD ostensiblement picturale : la projection dans l'univers du récit, d'une part (soit une participation de nature logique, associative et affective), et la jouissance esthétique (participation contemplative), d'autre part? Peut-on consommer l'image comme une parcelle d'univers, c'est-à-dire la traverser pour qu'elle nous conduise ailleurs, et parallèlement la goûter comme un tableau, ce qui implique de s'y arrêter et d'en privilégier la surface? Peut-on adopter ces deux attitudes dans le même instant ou presque, comme le requiert un médium séquentiel où l'on est toujours déjà sollicité par l'image suivante? Est-ce qu'elles n'impliquent pas des relations différentes au temps, le temps de la lecture se révélant incompatible avec le temps de l'imprégnation sensible, de l'abandon aux résonances? Si tout cela était vrai, le danger serait alors qu'en se rapprochant de la peinture, la bande dessinée gagnera peut-être un public d'esthètes mais perdra une partie importante de son lectorat, celle pour qui la BD est synonyme de fiction, d'évasion et de lecture facile.

Je crois, quant à moi, qu'entre ces deux dimensions existe en effet une tension, mais pas nécessairement une contradiction. Une bande dessinée picturale n'est pas une création foncièrement paradoxale. Seulement, cette tension entre l'efficacité narrative et le supplément d'être qui nait de la picturalité doit être travaillée dans un sens positif, s'inscrire de façon pertinente dans le projet artistique global de l'auteur. L'oeuvre de Vink est à cet égard une parfaite réussite, et Thierry Smolderen a bien analysé comment s'opèrent, chez lui, les «échanges d'influence» et les «déterminations réciproques» entre la matière du dessin et l'action du récit  (15).

On observera aussi que ces maîtres de la couleur directe que sont, par exemple, Bilal, Mattotti et Loustal, respectent une grande sobriété dans la gestion de certains paramètres non chromatiques, et notamment de la misse en page, qu'ils se gardent bien de «chahuter». On est d'autant plus enclin à leur prêter l'attention contemplative qu'ils réclament, que l'on n'est pas distrait par une débauche d'effets se voulant spectaculaires. L' école de la couleur directe qui s'est développée dans les comics anglo-saxons (où s'illustrent notamment Dave McKean, George Pratt, John J. Muth, Kent Williams et bien sûr Bill Sienkiewicz) se veut plus expérimentale. Elle a engendré quelques oeuvres très fortes, mais verse volontiers dans une sorte de maniérisme. En témoigne le recours massif à des procédés tels que les images à bords perdus, l'introduction de trouées blanches dans le corps même de la planche, la modulation de l'espace intericonique, le rejet de la bulle à l'extérieur de la case, les ruptures de style, etc., qui ont pour effet de détricoter les codes de la bande dessinée traditionnelle et surtout son espace (16)

Quelquefois, le dessinateur paraît jouer sa propre partition, à côté de la logique narrative voire contre elle, multipliant les dissonances plutôt que les résonances. L'influence de ces «nouveaux comics» est très sensible sur certains jeunes dessinateurs français, comme Stéfan Thanneur ou Nicolas Guénet.

Il me semble que la couleur directe ne s'est jamais imposée avec autant de force que chez Lorenzo Mattotti. Probablement parce que ses oeuvres ne sacrifient jamais à la virtuosité technique ; la couleur parait au contraire y procéder d'une sorte d'évidence ontologique, de nécessité intérieure. L'auteur de Feux n'a-t-il pas déclaré à propos de ce livre : «Si j'avais été au bout de moi-même, j'aurais dû avoir le culot de faire une histoire sur la lumière ou le changement de lumière ... » (17) Tel est bien, en effet, l'horizon qu'une telle oeuvre semble ouvrir à la bande dessinée picturale : ce moment où la mise en couleur du récit cédera le pas à la mise en récit de la couleur.

Thierry Groensteen

15 Lire sa critique du Moinefou dans Les Cabiers de la bande déminée no 60, p. 62_63.

16 Les Cahiers de la  bande dessineé n° 82, semtembre 1988, pp.12-15

17 Lorenzo Mattotti, Métamorphoses, Conversations avec Eddy Devolder, Vertige Graphic, 1992, pp. 41-42.