WB01343_.gif (599 bytes)

AVANTPORTRAIT LIVRES HEBDO

 
 

Dessinateur sachant voyager

 

Loustal publie la suite de ses carnets de voyage, nostalgiques et décalés. Une manière de tout remarquer sans se faire remarquer.

 

Voyageur et contemplatif : ces qualités ne sont pas forcément contradictoires. La preuve avec Loustal dont Le Seuil publie le troisième Carnet de voyage. Quand il n'est pas dans son atelier parisien, sur le canal de l'Ourcq (déjà du lointain, apponté en pleine ville), le dessinateur se trouve bien sûr dans ses images. « Chez moi, confie-t-il, le regard compte davantage que le. mouvement. »

Aux iles Galàpagos, par exemple, on voit dans un cadre sagement tracé un bel échassier noir qui marche dignement sous une véranda. Au loin, des canots à l'ancre, posés sur l'eau. A droite, une table où l'on a mis la nappe. Sur la nappe: un chapeau, une bouteille et un verre. On a bien sûr reconnu Loustal, puisqu'il a quitté la table pour dessiner, s'effacer, laisser avancer l'échassier noir.

Loustal n' a d'ailleurs pas son pareil pour survenir en plein soleil, aux heures creuses, quand les touristes sont occupés ailleurs. £ambitieux canapé de l'hôtel de Palmyre est vide. Grande paix aussi dans ces recoins de Lisbonne, car il faut laisser aux rues le temps de souffler. Deux oiseaux seulement, sur la pelouse de Central Park, à New York: petits, mais dignes.

Ce coin de port grec, vu de la terrasse, est lui aussi par bonheur désert, même la pinasse à touristes, vide, se repose. Vide, également, le siège du gardien de la pinasse, car les sièges ont le droit de réfléchir. Quant au dessinateur, il est de nouveau à table. Fourchette, assiette, cendrier, couteau, bouteille d'Almaza. Pas de problème, encore Loustal. Pourquoi le verraiton, puisqu'il dessine?

« Enfant, confiait-il à Mathieu Lindon dans Libération, j'ai toujours dessiné pour tromper l'ennui, et c'est très facile de se mettre à dessiner. je n'vais donc pas le temps de m'ennuyer. Je ne m'ennuie jamais sauf quand je fais des activités qui m'ennuient, jamais quand je n'ai rien à faire. J'aime la lenteur du temps, ce que ça dégage, j'aime bien regarder les heures passer. Les Carnets de voyage sont nés de mon désir de contemplation. Regarder, c'est s'imprégner des choses. »

Rêver dans son coin. Cette manière d'être là, de ne pas trop se faire remarquer mais de tout remarquer, puis de s'éclipser ne saurait appartenir qu'au petit dernier d'une famille nombreuse. Ce qui est bien sûr le cas de Loustal : Jacques de Loustal, pour être précis, né en 1956 à Neuilly-sur-Seine. Le dernier fils du général de Loustal se plaisait à rêver dans son coin. La vie militaire ne le tentait pas. Il s'en est donc écarté discrètement, selon l'habitude des petits derniers. « Tiens, mais où estil donc passé? » Et bien, aux Beaux-Arts.

Le jeune Loustal a toutefois choisi l'architecture. Cela permet dêtre artiste mais représente, pour les parents, un gage de sérieux. Il fera d'ailleurs très sérieusement les six années d'études- si sérieusement qu'il en a mis deux de plus, soit donc huit ans, de 1973 à 1981. Tout cela parce qu'il lui arrivait de s'ennuyer un peu. Et quand Loustal craint de s'ennuyer, quel remède? Le dessin, bien sûr. Mais ni le dessin coté, ni le calque, ni le relevé. En ces temps où la bande dessinée virait sa cuti, contestataire et inventive - Métal Hurlant, (A Suivre ... ), L'Echo des savanes-, Loustal fait ses premiers pas dans un « fanzine » du lycée de Sèvres puis, la même année (1977), dans Rock and Folk.

La rencontre est importante. On n'imagine pas ce dessinateur sans musique : le rock, mais aussi le jazz. Il reprendra ces dessins en 1980 dans son premier album dont le titre vaut programme : Une Vespa, des lunettes noires, une palm-beach, elles voudraient en plus quefaie de la conversation. Il profite en cela de son amitié avec Philippe Paringaux, devenu son scénariste de prédilection, avec lequel il signe en 1987 l'un de ses plus grands succès : Barney et la note bleue (Casterman).

Si le ton est donné, avec cette nostalgie presque immobile qui deviendra la marque de Loustal, l'orientation définitive tarde à se préciser. £apprenti architecte aime en effet les espaces largement construits, les villes qu'il saisit toujours en grands pans, en surfaces, sans s'embrouiller de foules, sans se perdre en détails. IL aime aussi le voyage et prend son temps au Maroc, dans la coopération. Au retour, en 1983, il ne devient dessinateur, pour de bon, que par défaut. Pendant qu'il coopérait et voyageait, ses camarades architectes se sont placés, installés, dispersés. Alors, vive le trait et la couleur.

Bande dessinée, donc, mais bande à part. Loustal reste fidèle à son principe. « Tiens, mais où est-il donc passé? » Il ne signe pas de séries, mi n'invente de personnage type. Chaque album résulte d'un long travail d'apprivoisement, histoire de se mettre dans l'ambiance, dans les tons, dans les cadrages.

Un travail à la Wenders. Son travail avec Paringaux, mais aussi avec Jérôme Charyn (Lesfrères Adamov, Casterman, 199 1), est fondé sur un rapport très particulier avec le texte: Loustal emploie très peu les « bulles » et s'en tient à quelques phrases brèves, précises. On songe à la musique, bien que l'action soit souvent forte, car tout se passe entre les cases, par un jeu d'ellipses et de sousentendus. Si bien que les déboires des personnages, leur traque, leurs intrigues deviennent autant de plans fixes, peuplés de présences. Un travail qui rappelle celui de cinéastes tels que Wim Wenders. On se croirait revenu au Buena Vista social club rien qu'à découvrir, dans le Carnet de voyage les deux guitaristes et le harpiste du trio « Tres de Veracruz », ou ces dames opulentes et gominées, entre jean tom et habanera, que sont Mirna Lozano ou Lucy Castillo, la « Reyna ».

Cette lente maturation reste astreignante. Cinq ans de silence pour Loustal, avant de publier sa dernière BD : Kid Congo (Casterman, 1997) qui voyage entre le Sénégal et le Paris des années 1920. Aussi lui faut-il des « ballons d'oxygène ». Il est devenu l'un des chouchous des publicitaires par la qualité nostalgique de ses illustrations, un rien décalée. Il prend aussi plaisir à signer des planches pour des textes rares : ainsi Touristes de bananes de Simenon (Vertige Graphic, 1998) ou les Contes de la forêt vierge d'Horacio Quiroga (Le Seuil-Métailié, 1998). Et puis, il y a la peinture. Plus d'aquarelle, ici, mais des couleurs opaques, et des gros pinceaux. C'est un autre versant de son travail; un réservoir d'idées, également, pour la BD.

Dès quil le peut, enfin, Loustal voyage. Ses albums en témoignent. Mais à sa manière, c'est-à-dire toujours sur le départ, même lorsqu'il vient d'arriver, comme s'il voyait tout de loin, nourri du souvenir d'un lieu quitté ou d'un autre lieu, à venir. « Tiens, mais où est-il donc passé? »

JEAN-MAURICE DE MONTREMY

Carnet de voyage 1997-1999, Loustal Le Seuil, 144 p. 125 E

© LIVRES HEBDO (nr. 362) 17-12-1999 p.106