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Dessinateur
sachant voyager
Loustal publie la
suite de ses carnets de voyage, nostalgiques et décalés. Une manière de
tout remarquer sans se faire remarquer.
Voyageur et contemplatif :
ces qualités ne sont pas forcément contradictoires. La preuve avec
Loustal dont Le Seuil publie le troisième Carnet de voyage. Quand
il n'est pas dans son atelier parisien, sur le canal de l'Ourcq (déjà du
lointain, apponté en pleine ville), le dessinateur se trouve bien sûr
dans ses images. « Chez moi, confie-t-il, le regard compte davantage que
le. mouvement. »
Aux iles Galàpagos, par
exemple, on voit dans un cadre sagement tracé un bel échassier
noir qui marche dignement sous une véranda. Au loin, des canots à
l'ancre, posés sur l'eau. A droite, une table où l'on a mis la nappe.
Sur la nappe: un chapeau, une bouteille et un verre. On a bien sûr
reconnu Loustal, puisqu'il a quitté la table pour dessiner, s'effacer,
laisser avancer l'échassier noir.

Loustal n' a d'ailleurs pas
son pareil pour survenir en plein soleil, aux heures creuses, quand les
touristes sont occupés ailleurs. £ambitieux canapé de l'hôtel de
Palmyre est vide. Grande paix aussi dans ces recoins de Lisbonne, car il
faut laisser aux rues le temps de souffler. Deux oiseaux seulement, sur la
pelouse de Central Park, à New York: petits, mais dignes.
Ce coin de port grec, vu de
la terrasse, est lui aussi par bonheur désert, même la pinasse à
touristes, vide, se repose. Vide, également, le siège du gardien de la
pinasse, car les sièges ont le droit de réfléchir. Quant au
dessinateur, il est de nouveau à table. Fourchette, assiette, cendrier,
couteau, bouteille d'Almaza. Pas de problème, encore Loustal. Pourquoi le
verraiton, puisqu'il dessine?
« Enfant, confiait-il à
Mathieu Lindon dans Libération, j'ai toujours dessiné pour
tromper l'ennui, et c'est très facile de se mettre à dessiner. je n'vais
donc pas le temps de m'ennuyer. Je ne m'ennuie jamais sauf quand je fais
des activités qui m'ennuient, jamais quand je n'ai rien à faire. J'aime
la lenteur du temps, ce que ça dégage, j'aime bien regarder les heures
passer. Les Carnets de voyage sont nés de mon désir de
contemplation. Regarder, c'est s'imprégner des choses. »
Rêver dans son coin. Cette
manière d'être là, de ne pas trop se faire remarquer mais de tout
remarquer, puis de s'éclipser ne saurait appartenir qu'au petit dernier
d'une famille nombreuse. Ce qui est bien sûr le cas de Loustal : Jacques
de Loustal, pour être précis, né en 1956 à Neuilly-sur-Seine.
Le dernier fils du général de Loustal se plaisait à rêver dans son
coin. La vie militaire ne le tentait pas. Il s'en est donc écarté
discrètement, selon l'habitude des petits derniers. « Tiens, mais où
estil donc passé? » Et bien, aux Beaux-Arts.
Le jeune Loustal a toutefois choisi
l'architecture. Cela permet dêtre artiste mais représente, pour les
parents, un gage de sérieux. Il fera d'ailleurs très sérieusement les
six années d'études- si sérieusement qu'il en a mis deux de plus, soit
donc huit ans, de 1973 à 1981. Tout cela parce qu'il lui
arrivait de s'ennuyer un peu. Et quand Loustal craint de s'ennuyer, quel
remède? Le dessin, bien sûr. Mais ni le dessin coté, ni le calque, ni
le relevé. En ces temps où la bande dessinée virait sa cuti,
contestataire et inventive - Métal Hurlant, (A Suivre ... ), L'Echo
des savanes-, Loustal fait ses premiers pas dans un « fanzine » du
lycée de Sèvres puis, la même année (1977), dans Rock and
Folk.
La rencontre est
importante. On n'imagine pas ce dessinateur sans musique : le rock, mais
aussi le jazz. Il reprendra ces dessins en 1980 dans son premier
album dont le titre vaut programme : Une Vespa, des lunettes noires,
une palm-beach, elles voudraient en plus quefaie de la conversation. Il profite
en cela de son amitié avec Philippe Paringaux, devenu son scénariste de
prédilection, avec lequel il signe en 1987 l'un de ses plus grands
succès : Barney et la note bleue (Casterman).
Si le ton est donné, avec
cette nostalgie presque immobile qui deviendra la marque de Loustal,
l'orientation définitive tarde à se préciser. £apprenti architecte
aime en effet les espaces largement construits, les villes qu'il saisit
toujours en grands pans, en surfaces, sans s'embrouiller de foules, sans
se perdre en détails. IL aime aussi le voyage et prend son temps au
Maroc, dans la coopération. Au retour, en 1983, il ne devient
dessinateur, pour de bon, que par défaut. Pendant qu'il coopérait et
voyageait, ses camarades architectes se sont placés, installés,
dispersés. Alors, vive le trait et la couleur.
Bande dessinée, donc, mais
bande à part. Loustal reste fidèle à son principe. « Tiens, mais où
est-il donc passé? » Il ne signe pas de séries, mi n'invente de
personnage type. Chaque album résulte d'un long travail d'apprivoisement,
histoire de se mettre dans l'ambiance, dans les tons, dans les cadrages.
Un travail à la Wenders. Son
travail avec Paringaux, mais aussi avec Jérôme Charyn (Lesfrères
Adamov, Casterman, 199 1), est fondé sur un rapport très particulier
avec le texte: Loustal emploie très peu les « bulles » et s'en tient à
quelques phrases brèves, précises. On songe à la musique, bien que
l'action soit souvent forte, car tout se passe entre les cases, par un jeu
d'ellipses et de sousentendus. Si bien que les déboires des personnages,
leur traque, leurs intrigues deviennent autant de plans fixes, peuplés de
présences. Un travail qui rappelle celui de cinéastes tels que Wim
Wenders. On se croirait revenu au Buena Vista social club rien
qu'à découvrir, dans le Carnet de voyage les deux guitaristes et
le harpiste du trio « Tres de Veracruz », ou ces dames opulentes et
gominées, entre jean tom et habanera, que sont Mirna Lozano ou Lucy
Castillo, la « Reyna ».
Cette lente maturation
reste astreignante. Cinq ans de silence pour Loustal, avant de publier sa
dernière BD : Kid Congo (Casterman, 1997) qui voyage entre le
Sénégal et le Paris des années 1920. Aussi lui faut-il des « ballons
d'oxygène ». Il est devenu l'un des chouchous des publicitaires par la
qualité nostalgique de ses illustrations, un rien décalée. Il prend
aussi plaisir à signer des planches pour des textes rares : ainsi Touristes
de bananes de Simenon (Vertige Graphic, 1998) ou les Contes de la
forêt vierge d'Horacio Quiroga (Le Seuil-Métailié, 1998). Et puis,
il y a la peinture. Plus d'aquarelle, ici, mais des couleurs opaques, et
des gros pinceaux. C'est un autre versant de son travail; un réservoir
d'idées, également, pour la BD.
Dès quil le peut, enfin,
Loustal voyage. Ses albums en témoignent. Mais à sa manière,
c'est-à-dire toujours sur le départ, même lorsqu'il vient d'arriver,
comme s'il voyait tout de loin, nourri du souvenir d'un lieu quitté ou
d'un autre lieu, à venir. « Tiens, mais où est-il donc passé? »
JEAN-MAURICE DE MONTREMY
Carnet de voyage 1997-1999, Loustal Le Seuil, 144 p. 125 E
© LIVRES HEBDO (nr. 362) 17-12-1999 p.106 |
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