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B A N D E S D E S S I N É E S

Brocher Littéraire, 1987, nr 239 - 240, p. 134

DANS LE FOND DES BARS

 

Barney et la note bleue, Texte: Paringaux. Dessin : Loustal. Ed. Casterman / A Suivre, 58 F.

Le chien coiffé, Florence Cestac. Ed. Futuropolis. Coll. X, 33 F.

Histoires amicales du Bar à Joe, Textes : Sampayo. Dessins : Munoz. Ed. Casterman / A Suivre, 53 F.

SANS LA FEMME, L'HOMME n'est rien. Tout juste un célibataire. Cet accablant constat le conduit au bistrot. Il y boit des Fernet-Branca en discourant sur les femmes qu'il a possédées. Des veuves avides, des blondes partout, des séfarades nues pétrissant la pâte à beignets, des obèses macdonalisées, des skaï à clous, des lolitas troublées par leur puberté nouvelle, et même des épouses de ministres incompétents (pléonasme de comptoir).

La femme, au dire du connaisseur, se compose pour l'essentiel d'un mari et d'un amant, quelquefois d'une paire de lunettes en forme de papillon. L'homme peut avoir un amant, rarement un mari, encore moins de lunettes en forme de lépidoptère ailé.

Abrité derrière les siennes, dans le fond d'un bar andalou, Barney souffle des notes bleues en pensant à la femme qu'il aime : Pauline. Elle a un mari, il est son amant. So instrument en sautoir, il presse le cuivre de ses, doigts indolents et lui joue « Besame mucho » (prononcer : Bessamé moutchaux en appuyant sur le mou). « Lorsqu'il laisse tomber sa dernière note, on n'entend même plus les glaçons tinter dans les verres » dit le texte.

Loustal, dessinateur de blues selon Bronson, prince de l'aquarelle selon Paringaux, fait sourdre de son pinceau les parfums entêtants, les villas de luxe, les nuits d'ardoise, les seringues chargées, la moiteur des chairs tandis que le héros, librement inspiré de la vie de Barney Wilen, se noie dans une errance douloureuse, une lente descente aux enfers.

Il fuit Pauline en Espagne pour la retrouver à Paris, il dérive de bar en bar, de club en night, s'efforçant d'oublier le mal qu'il lui fait et l'enfant qui va naître. Triste again, titre un chapitre.

Loustal a dessiné chaque planche avec sa couleur propre, son unité de lieu, son ambiance, sa touffeur, sa musique. On y voit des plages où errent des chiens cochons, des décapotables filer le long des washingtonias, des piscines outrageusement bleues, mais ailleurs la pluie hésite sur le bord d'un chapeau, une lumière jaune déchire l'opacité d'une chambre, un car mouillé sur la route fait des flaques de chrome. On y voit aussi la blatte loustalienne écrasée sur le gerflex et des chaussures autrefois blanches qu'aucune pâte ne parvient à raviver. C'est quand elles seront définitivement fichues que Barney mourra. Dandy désespéré en équilibre sur une note précaire.

Le changement de narrateur, la chronologie bouleversée, font penser à Faulkner, et on se plaît à imaginer le film admirable qu'aurait pu faire Tavernier avec un script de cette qualité.

Mais si Autour de minuit est l'histoire d'un homme incapable d'aimer autre chose que sa musique, La note bleue est l'histoire d'amour entre un homme et une femme, la musique en prime, car, pour la première fois, une BD a une bande son originale. Chaque titre de chapitre est le titre d'un morceau. Loustal qui en a fait la pochette se place aux côtés des Ben, Shahn et David Stone Martin.

Un album et un 33 tours indispensables au célibataire. A lire et à écouter avec une bouteille à portée de la main.

Dans le fond d'un autre bar, « Chez  Dudule », il y a Edmond-François Ratier, création de Florence Cestac et frère' d'Harry Mickson. Arrive un « chien coiffé », dit Pierrot l'Anguille, un taulard en cavale qui lui demande asile et planque. Edmond-François Ratier ne se contente pas de l'héberger, il le transforme en blonde ravageuse avec perruque platine, escarpins de 44 et tondeuse à gazon pour raser les mollets. Le résultat est très approximatif : « Tiens-toi droit, lui recommande-t-il, on dirait un gros hanneton avec les deux pattes dans la confiture ». « Si tu crois que c'est facile de marcher avec ces tartines ! » réplique la cavaleuse. Compromettre son célibat avec un taulard velu, voilà qui promet des angoisses à se noircir la moelle. Haletant palpitant jusqu'à la dernière page !

Dans le fond d'un autre bar, le « Bar à Joe », on y entend des chansons espagnoles qui parlent d'amores que nuncapueden olvidarse, des célibataires parler de femmes qu'ils ont connues. Des veuves avides, des blondes partout, des séfarades nues...

 

Tito Top

 

http://www.titotopin.com/bd/img/Dans_le_fond_des_%20bars.pdf