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Culture, Bandes dessinées
Amers tropiques! (30/01/2004)
C'est l'histoire d'un homme qui s'ennuie sous le soleil
BRUXELLES Loustal - Coatalem, ActeII. Après Jolie mer de Chine, paru
voici deux ans, l'illustrateur Jacques Loustal et le novelliste Jean-Luc
Coatalem se sont retrouvés, toujours chez Casterman, pour nous offrir
une nouvelle fresque colorée qui se déroule cette fois en Afrique.
A la base du récit, un recueil de nouvelles de Coatalem, Affaires
indigènes. Dans cet ouvrage, deux courts récits ont séduit Loustal. Mais
le dessinateur voulait réunir ces deux saynètes dans un seul livre, il
fallait donc trouver un raccord. Ensuite, il fallait aussi imaginer une
nouvelle fin pour que ce remodelage tienne la route.
Un travail de réécriture remarquable qui a abouti à la naissance de Rien
de neuf à Fort-Bongo. Une bande dessinée étonnante malgré ce titre qui
ne laisse rien entrevoir de bien passionnant.
C'est l'histoire de Raoul Cordier. Petit employé dans une compagnie
quelconque de Bordeaux. Un coup de blues, une envie d'exotisme et le mec
se retrouve un bon 10.000 kilomètres plus au Sud. En terre africaine.
Là, une nouvelle vie est possible. Dans cette Afrique mystérieuse de ce
milieu de XXe siècle, tout est à faire. Tout peut se rêver. Même les
plus falots peuvent espérer devenir des hommes en vue.
Raoul Cordier est un peu de cette caste. Oh, il ne rêve pas de devenir
un nabab. Il a la tête sur les épaules, Raoul. Non, il veut juste vivre
et bien vivre. Recommencer une carrière qui tournait en eau de boudin
sur notre Vieux Continent.
Mais, sur place, ce n'est pas vraiment le bonheur. Ses employeurs ne
sont guère accueillants, le climat est suffocant et les heures
d'oisiveté sont tuantes. Un nouveau calvaire mais sous de tristes
tropiques.
Jacques Loustal se sent dans son élément dans ce récit exotique qui
permet à sa palette de couleurs de s'exprimer pleinement. Pourtant, le
dessinateur avoue qu'il apprécie drôlement son travail en noir et blanc.
«Dans cet album, j'ai pris un réel plaisir à redessiner au crayon.
C'était un instrument que j'avais délaissé ces dernières années. La
finesse du trait m'a passionné. Pour la mise en couleurs, j'ai dû
travailler sur des photocopies pour retrouver un trait suffisamment
noir. J'avoue aussi que tout ce travail technique me plaît assez. C'est
très artisanal et très jouissif.»
Mais outre ces tâches manuelles, il y a aussi un travail évident de
réécriture lorsque l'on passe d'une nouvelle à un scénario de bande
dessinée. «Jean-Luc Coatalem a été beaucoup plus présent sur cet album
que sur le précédent. D'abord, parce qu'il fallait mixer deux de ses
récits. Ensuite, parce que je ne voulais pas de la conclusion trop
mièvre que l'on pouvait voir dans la nouvelle.»
Cette seconde collaboration préfigure-t-elle la constitution d'une
équipe appelée à travailler régulièrement ensemble? «Je ne le pense pas.
Même si Coatalem a signé pas mal de nouvelles, je n'ai pas trouvé
d'autres idées adaptables en bande dessinée dans tout ce qu'il a
produit. A priori, j'ai fait le tour de ce qui était exploitable dans
son oeuvre.» Après Charyn et Paringaux, Coatalem est le troisième
«romancier» à servir de base au travail graphique de Loustal qui n'a
jamais travaillé avec un «vrai» scénariste. «Je ne me vois pas en train
de bosser sur un scénario tout écrit que je n'aurais qu'à rendre en
dessins. Je trouverais cela trop contraignant et trop peu créatif.
Chacun travaille comme il le sent, moi, j'aime découper mes scénarios,
les construire, les modeler.» Ce qu'il a aimé chez Coatalem? «Son jeu
sur le cynisme. C'est quelque chose que je trouve assez drôle. Il y a de
nombreuses situations que je trouve vraiment comiques. Le héros m'amuse
beaucoup même si tout ne se termine pas nécessairement bien pour lui.
J'aime aussi travailler sur le comique des personnages. Dans ce récit,
tous ceux qui apparaissent ont en eux quelque chose de drôle. Ça me fait
penser à un certain cinéma français, comme celui de Chabrol, ou
peut-être aussi et surtout aux films de Fellini. On y découvre des
personnages qui sont odieux mais qui me font rire.»
Pour son inspiration graphique, Loustal avoue encore qu'il a autant
puisé dans ses souvenirs personnels de voyage que dans certains bouquins
qu'il a pu dénicher chez nous. «Pour ce qui est des installations
industrielles, je me suis ainsi inspiré librement d'un très beau livre
de photos de votre Union minière du Haut-Katanga. Je ne travaille pas
avec un livre ouvert sous les yeux. J'avale les clichés et je restitue
des images que je me suis confectionnées dans un petit coin de mon
cerveau. »
Rien de neuf à Fort-Bongo peut se lire comme une farce douce-amère, un
récit qui ne se prend pas au sérieux comme le laisse présager le titre.
«C'est vrai qu'il ne se passe pas grand- chose. C'est tout dans le
sentiment plus que dans l'action.»
Quand on lui parle de ses futurs projets, Loustal se la joue serein.
«Plus avec Coatalem, comme je le disais précédemment. Peut-être un récit
avec Paringaux qui me propose enfin des choses moins noires. Par contre,
j'avoue qu'il y a un projet qui me tient à coeur. J'ai déjà illustré six
romans de Simenon et j'aimerais m'attaquer à une adaptation en bande
dessinée. Je ne sais pas si c'est réellement faisable, mais c'est
vraiment quelque chose qui me tente fortement. Le fait que je ne
travaille pas sur un héros à moi me permet ainsi de vagabonder d'un
univers à un autre. C'est parfois un peu plus difficile que de
travailler sur un personnage récurrent parce que les lecteurs n'ont pas
la même attente, mais je ne me sentirais pas à l'aise si je devais
dessiner tout le temps le même personnage. En plus, comme je n'ai pas un
immense succès en librairie, mais que j'ai une bonne cote dans les
maisons d'édition, toutes les portes me sont ouvertes. C'est un vrai
luxe, j'en suis conscient et je n'entends pas mettre un terme à cette
situation qui me convient finalement très bien.»
Loustal - Coatalem: Rien de neuf à Fort-Bongo, Ed. Casterman.
Hubert Leclercq
http://www.dh.be/index.phtml?content=http://www.dh.be/dhculture/article.phtml?id=93576
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