Les vrais héros de la bande dessinée seraient-ils les scénographes
? Sans doute, au vu des VIes rencontres BD à Bastia, qui se sont
tenues dans le chef-lieu de la Haute-Corse du 11 au 14 mars, et de
la réalisation de l'Atelier Lucie Lom, animé par Philippe Leduc
et Marc Antoine Mathieu : " Gare centrale ", ou la
rencontre du roman noir et de la bande dessinée. Autour de Munoz,
Sampayo, Ferrandez ou Gerner, habitués du rendez-vous bastiais,
mais aussi de Sokal, Giardino, Dodier, Virginie Broquet et, "
transfuges " de l'univers jeunesse, Yvan Pommaux, Antonin
Louchard, Bruno Heitz. La poésie secrète d'un hall au décor désuet
où les consignes s'enfoncent comme le dernier indice d'un
naufrage - emportant le poids des angoisses comme d'autant de
crimes - les horloges affolées et les vitrines présentant de
faux romans noirs - qui sont autant de clins d'oeil à décrypter
sur place - font de cet espace immense, miraculeusement intime, le
carrefour de tous les genres.
Les trains en partance pour des destinations ténébreuses
qu'on devine lointaines annoncent le thème général d'une édition
plus dense encore qu'à l'ordinaire : les lieux d'exposition se
sont réduits, mais la cohérence du propos s'est affermie, affichée
par la signalétique confiée à David B. Ce paquebot cinglant
vers des horizons pluriels aux frontières poreuses annonce
l'escapade vers les couleurs africaines ou urbaines de Jano ; le
monde introspectif de David B. ou celui, farfelu, de Jojo et Paco,
créations d'Isabelle Wilsdorf, dont les lecteurs de Toboggan
connaissent bien les " aventures friponnes " ; le monde
relu par les héritiers de Delacroix, dont les carnets poétiques,
parfois sobrement nostalgiques, peuvent porter un témoignage
social et politique bien plus engagé (au hasard de ce périple
" in gira a lu mondu ", Loustal,
Blutch, Berberian, mais aussi Caroline Sury ou Lynda Corazza) ;
celui tout aussi personnel qu'ont rendu en famille les Raynal,
Patrick illustrant à sa manière les paysages urbains du quartier
marseillais de La Plaine, peints par son fils Frédéric (éd. du
Ricochet, 64 p., 85 F, 12,96 ).
L'invitation au voyage se fait plus réelle avec les " Trains
de plaisir " croqués par Jean- Claude Denis (textes de
Pierre Christin, Casterman) exposés dans un wagon qui fit la
navette entre Bastia et Ajaccio, diffusant l'événement bastiais
au-delà des terres où rayonne l'action du Centre culturel Una
Volta. Plus folle aussi avec " Ils rêvent le monde ",
exposition conçue par Johanna Schipper pour l'Association française
d'action artistique (AFAA) et les éditions Sépia et destinée
aux Alliances françaises de l'étranger. Prétexte à parcourir
les " témoignages sur l'an 2000 " de quelques-uns des
meilleurs dessinateurs de SF, l'ensemble, dont le catalogue est déjà
disponible, réserve quelques belles surprises (Beb-Deum et Marc
Antoine Mathieu encore).
Bastia serait-il le port d'attache de tous les amoureux du 9e art
?
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