Dans le bureau de... Loustal (2018)

L'Express - No. 3501 (Août 2018)

Photo: https://www.lexpress.fr/culture/livre/dans-le-bureau-de-loustal_2028717.html


Dans le bureau de... Loustal 2009

Dans le bureau de... Loustal 2009

Dans le bureau de... Loustal 2009

Dans le bureau de... Loustal 

Auteur de bandes dessinées, illustrateur réputé (de Simenon, entre autres), ce globe-trotteur nous a ouvert les portes de son atelier parisien.

L'immeuble ne paie pas de mine. Une de ces constructions parisiennes de la fin du siècle dernier qui ont mal vieilli, sise quai de Seine dans le 19e arrondissement. Mais la proximité du canal de l'Ourcq a du bon, le quartier est arboré, populaire, sympatoche. Et puis on accède au repaire de l'artiste, à l'entresol, par une coursive avec vue sur le jardin voisin, que domine un immense figuier. C'est champêtre, charmant.  

"Vous entendez le chant des oiseaux ?", s'enthousiasme Jacques de Loustal, dit Loustal, 62 ans. Bonhomme, nonchalant, éminemment sympathique. Premier locataire de cet atelier de la ville de Paris, l'ex-étudiant en architecture a vu son bail régulièrement renouvelé depuis 1995. Pas étonnant. Loustal, c'est du lourd. Un grand nom de la bande dessinée française, crayonneur de génie, cador de l'illustration, coloriste rompu à toutes les techniques - encre, aquarelle, lavis, etc.  

Bric-à-brac et souvenirs de voyages

Son trait expressif, simple sans être minimaliste, à la fois dynamique et figeant l'instant, fait merveille. Aussi bien dans ses albums en tandem (Coeurs de sable, Barney et la note bleue, Le Sang des voyous, Pigalle 62.27, Les Amours insolentes) que dans ses multiples carnets de voyages et ses collaborations variées (avec Jérôme Charyn, Jean-Luc Coatelem, pour The New Yorker). Sans oublier les romans de Simenon. On y reviendra. 

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Pourtant moderne, son antre a tout de l'image d'Epinal : un vrai atelier d'artiste, avec double hauteur, mezzanine accueillant la table lumineuse, chevalet orné de sa dernière toile, bureau encombré de pots à crayons, bibliothèque débordant de son abondante production livresque et autres ouvrages, étagères métalliques remplies d'archives et de brouillons. Foutoir partout ailleurs où les pinceaux le disputent aux feutres, les plumes aux pastels; où les murs sont envahis d'oeuvres personnelles comme de celles d'amis - ici un dessin de Pierre Le-Tan, là une dédicace de Topor.  

Les souvenirs affolent le regard, babioles en tous genres et collections pittoresques (guitares miniatures, masques mexicains, statuettes brésiliennes) qui témoignent du globe-trotteur invétéré sillonnant la planète depuis trente-cinq ans, du Maroc à l'Argentine, du Japon à la Crète, de Cuba à Israël en passant par le Sénégal ou le Chili. "Je voyage toujours beaucoup et j'aime l'art populaire. Comme j'adore chiner, je tombe souvent sur des objets insolites."  

Un "homme de l'image"

Impossible de ne pas repérer également sa collection de vinyles et de CD, à commencer par Lio canta Caymmi, le tout dernier album de la chanteuse, dont Loustal a illustré la pochette. "Je suis un musicien frustré, alors à défaut de savoir jouer, j'écoute de la musique tout le temps, avec une préférence pour le rock & folk, le jazz, le blues. Des musiques de films aussi." Le 7e art, son dada. D'où la dimension cinématographique de son oeuvre. "Je suis un homme de l'image." Au point d'aller régulièrement se faire une toile l'après-midi, au complexe MK2 d'à côté.  



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Sous un grand tableau de l'illustrateur jeunesse François Roca, figurant une mystérieuse femme masquée et court vêtue - "un portrait à la David Lynch", dixit notre cinéphile -, trône un vaste canapé vert kaki, gentiment avachi. "J'y fais ma petite sieste tous les jours, un quart d'heure pas plus mais c'est très salutaire." Si son emploi du temps varie, sa journée type commence vers 11 heures : "J'arrive après avoir réglé chez moi, rue de Maubeuge, dans le 9e, tout ce qui peut se faire par Internet car je n'ai pas le Wi-Fi ici. Du coup, je travaille de façon assez concentrée, plusieurs heures d'affilée, en prenant juste le temps de manger une petite salade achetée en chemin."  

Ce ne sont pas les projets qui manquent : une BD à paraître chez Casterman l'année prochaine, avec Fred Bernard au scénario, l'histoire d'un diamant pendant un siècle - "J'avais envie de revenir au format de mes débuts, deux planches par page" ; plusieurs panneaux de signalisation régionale commandés, ainsi qu'à sept autres dessinateurs, par la société d'autoroutes APRR ; des peintures pour son galeriste attitré, Huberty & Breyne, à Bruxelles.  





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L'univers américain de Simenon

"J'ai réalisé tellement de dessins que certains peuvent faire l'objet d'une toile." Combien de temps pour en terminer une ? "Ça me prend trente ans de métier, comme disait Picasso." Et Loustal d'ajouter aussitôt, rigolard : "Ne dites pas que je me prends pour Picasso, hein !" En revanche, on dira notre admiration en découvrant ses illustrations épatantes, pratiquement finalisées, du Passager clandestin de Simenon, paru en 1947 et qui sera republié, ainsi paré, le 8 novembre chez Omnibus.  

C'est le quatrième de ses romans "américains" à inspirer Loustal, après Touriste de bananes, Les Frères Rico, Un nouveau dans la ville, en plus de Six Enquêtes de Maigret. "La plupart des histoires de Simenon correspondent à mon goût pour les atmosphères des années 1930 aux années 1960. Après, je me décide en fonction du potentiel visuel des textes. J'ai relu plusieurs fois Le Passager clandestin dans son édition d'origine. Dès qu'une image me vient, je crayonne une esquisse comme on écrirait une idée. Puis je fais un choix pour que l'ensemble soit équilibré. Mais j'aime bien changer de technique, passer de la plume au pinceau par exemple, pour ne pas m'emmerder."  

Simenon et Loustal, duo d'enfer assurément. D'où ce nouveau chantier, et non des moindres : le dessin de couverture de chacun des dix volumes de l'intégrale Maigret, qui ressort en 2019 pour le 30e anniversaire de la mort de l'écrivain. Collectionneurs, à vos marques !  


Loustal  L'Express 4-8-2018