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2003 Fred Vargas: Aurais-tu peur, Cyril

Concours Jebouquine  des jeunes écrivains

ill. Loustal 
Le concours Je Bouquine des jeunes écrivains est destiné aux élèves de CM1, de CM2 et aux collégiens. C’est un concours d’écriture à partir d'une amorce de texte , rédigée par un écrivain de renom. Il est organisé par Bayard Presse et parrainé par le ministère de l’éducation nationale.

L'AGENDA DE VARGAS.
— 2 octobre 2003
Le magazine pour les 10-15 ans Je Bouquine (des éditions Bayard jeunesse) a choisi cette année Fred Vargas pour son «concours Je Bouquine du jeune écrivain 2004». Le principe est désormais connu: un romancier propose un début d'histoire, et les lecteurs sont conviés à la terminer. Il s'agit ici indéniablement d'un polar. L'auteur de Pars vite et reviens tard (éditée chez Viviane Hamy pour ses romans policiers et archéozoologie dans le civil) met en scène un adolescent déprimé. Il reprend goût à la vie en ramassant sur le trottoir un épais carnet. «Cet agenda d'un autre» offre une surprenante particularité : deux coins de pages sont arrachés, elles concernent deux jours qui n'ont pas été vécus. Le détective amateur distingue trois coups d'épingle. La suite d'Aurais-tu peur, Cyril? sera donc écrite par un romancier amateur de moins de 16 ans, sur une copie double de petit format, à l'encre noire, avant le 12 décembre 2003. Texte et informations dans le Je Bouquine de ce mois. Résultats lors du Salon du livre à Paris, en mars prochain. Il paraît que, chaque année, quelque dix mille adolescents participent au concours.
http://next.liberation.fr/livres/2003/10/02/l-agenda-de-vargas_446800

Biographie :
Fred Vargas est née à Paris en 1957. Fred est le diminutif de Frédérique. Vargas est son nom de plume pour les romans policiers.
Sa soeur jumelle, Jo, peintre, a également adopté ce pseudonyme de Vargas, et c'est même elle qui la première le trouva, l'empruntant au personnage joué par Ava Gardner dans la Comptesse aux Pieds Nus. Pendant toute sa scolarité Fred Vargas ne cesse d'effectuer des fouilles archéologiques ; après le bac elle choisit de faire des études d'Histoire. Elle s'intéresse à la préhistoire, puis choisit de concentrer ses efforts sur le Moyen Âge. Actuellement ses recherches d'historienne-archéologue portent sur les ossements animaux du Moyen Âge. Quand elle parle de sa formation, la personnalité et l'enseignement de son père y tiennent un rôle déterminant. Elle a débuté sa "carrière" d'écrivain de roman policier par un coup de maître. Son premier roman Les Jeux de l'Amour et de la Mort , sélectionné sur manuscrit, reçut le Prix du roman policier du Festival de Cognac en 1986 et fut donc publié aux éditions du Masque. Fred Vargas, mère d'un petit garçon, vit à Paris.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fred_Vargas
 

 

Fred Vargas: Aurais-tu peur, Cyril ?
Je Bouquine n°236 - octobre 2003

Tom vient de déménager, mais il se sent tout bizarre dans son nouvel immeuble, dans sa nouvelle chambre. Et quand il sort dans la rue, une ombre s'attache à ses pas, comme si elle voulait lui confier un terrible secret. Peu à peu, Tom va découvrir qu’un drame a eu lieu à cet endroit autrefois. Également dans ce numéro : un dossier littéraire sur Gargantua de Rabelais.

Je Bouquine, le magazine des 10/15 ans, organise depuis 19 ans un concours littéraire dont le principe repose sur un jeu d’écriture entre un écrivain reconnu et des jeunes âgés de moins de 15 ans. Fred Vargas a écrit cette année le début de l’histoire que les ados sont invités à terminer.

Le texte de Fred Vargas, intitulé « Aurais-tu peur, Cyril ? », le bulletin d’inscription et les modalités de participation figurent dans le numéro d’octobre de Je bouquine. Le concours est ouvert à des classes de primaire, de collège et à tous les jeunes âgés de 9 à 15 ans.

 

Aurais-tu peur, Cyril ?
de Fred Vargas.

Cyril hésitait, planté sur un coin de trottoir. Marcher ? Réviser ses cours ? L'énergie lui manquait. C'était ainsi depuis que Marine était brutalement sortie de sa vie, un mardi, le plantant là pour un autre gars, au coin d'une rue, précisément. Depuis trois mois et trois jours exactement. Si bien que Cyril tournoyait sans savoir à quoi employer son temps. Il était en panne, voilà tout. L'Ennui se déposait sur sa vie comme la poussière qui teinte tout en gris. Autour de lui, des gens allaient et venaient dans la grande avenue, tous s'activaient, tous s'intéressaient. A des trucs et à des machins. Tous sauf lui, qui baissa la tête. Sur le trottoir tra nait un agenda, seul lui aussi, perdu, tombé d'une poche. Cyril le fixa. Un agenda. Donc, un emploi du temps.

Riche et touffu

D'une main molle, il le ramassa. Cet agenda d'un autre, bien occupé, qui avait sûrement mieux à faire que de se ronger les ongles. Mais laisse cet ongle, Cyril, lui disait doucement sa mère, tu vas t'ab mer les doigts. Elle avait raison, sa mère, cela ne ferait pas revenir Marine. Et Marine était avec un autre gars, un crétin, un baraqué, un braillard, toujours plus fort que tout le monde. Cyril le haïssait. N'y pense pas, n'y pense plus. Il ouvrit l'agenda à la première page, en quête du nom et de l'adresse de son propriétaire.

Pas de nom, pas d'adresse, un Emploi du Temps anonyme. D'un adulte, d'un homme, d'après l'écriture. C'est amusant, cela, d'aller fouiner dans la vie d'un adulte. Il tourna prudemment les pages, sans trop oser. Cela ne se fait pas d'entrer en catimini dans la vie d'un autre, sans frapper, sans demander la permission. Cela ne se fait pas d'apprendre que l'Autre d ne avec Frank ce soir, avec Annie mercredi, et qu'il voit son dentiste à 10 heures demain. Cyril sourit. C'était agréable, cette vie bien modelée qui lui tombait dans le creux des mains au moment où, lui, précisément, était en panne. Cette Annie, l'Autre la voyait trois fois par semaine. Sa petite amie ? Cyril eut une moue envieuse. Il entra plus avant dans l'agenda, tel un voleur, un brigand, assez réjoui, comme il ne l'avait pas été depuis trois mois. Et trois jours. L'Agenda était riche et touffu, couvert d'annotations, empli de mots, de ronds, de points d'exclamation, d'interrogation. Cyril courait d'une page à l'autre, se promenait parmi les rendez-vous, sautait de prénom en prénom, imaginait, voyageait. C'était un vrai plaisir que de jouer ainsi avec les affaires d'un Autre. A ceci près qu'il n'aimait pas l'écriture de cet homme, un peu trop tranchante à son goût.



Salut et Adieu

Rentré chez lui, il déposa l'Agenda sur sa table et lui donna une petite tape affectueuse. Brave agenda débordant de vie, et qui lui rendait peu à peu la sienne, par un petit tour de passe-passe inattendu. Il envisagea de se remettre à la guitare, et d'appeler une Annie-à-lui. Les deux jours suivants, il nettoya sa chambre à fond. Impossible d'inviter une Annie-à-lui dans un pareil désordre. Ne resta plus sur la table nette que l'Agenda. Salut et adieu, Agenda, au revoir et merci. Avant de le jeter, Cyril le feuilleta une dernière fois. Il s'aventura vers les pages inexplorées, vers les feuilles blanches des mois à venir, juin, juillet, août. Sa main s'arrêta au 24 septembre. Là, le coin droit de la page, ce drôle de petit triangle que l'on déchire quand le jour est passé, avait été soigneusement ôté. Sans comprendre, Cyril feuilleta les pages vierges du temps futur. Au 2 décembre, le triangle avait été également enlevé, proprement, selon le pointillé. Deux coins retirés à l'avance, alors même que ces jours n'étaient pas encore vécus. Il se rassit, perplexe. Qu'est-ce que ce gars avait bien pu prévoir de si particulier pour ôter les angles de l'avenir ? Pourquoi ne pas l'écrire, tout simplement ? Cyril trouvait très déplaisant qu'on puisse ainsi couper du temps à l'avance, même du temps en papier. C'était comme couper un morceau d'existence. Il rouvrit l'agenda à la page du 24 septembre, et y repéra une trace infime, un trou minuscule, comme si l'Autre l'avait percée d'un coup d'épingle. Même chose au 2 décembre. Cyril reprit l'agenda depuis son début, plaçant chaque page sous la lumière. Et, au milieu des griffonnages ordinaires des jours passés, il releva une marque identique, une seule, le 23 mars. Trois points, trois événements translucides, muets. Trois actions sans nom qui se glissaient dans l'Emploi du Temps comme des fantômes, y laissant des traces furtives, cachées, secrètes. Une action déjà accomplie, et deux à venir.

Et brusquement, Cyril détesta cet Agenda. Dans quelle vie était-il tombé ? Et sur quel type ? Il lui semblait que le gars le fixait à présent. Et qu'il lui disait, avec un bref sourire : aurais-tu peur, Cyril ?

(A vous d'écrire la suite)
 

 

Biographie :
Fred Vargas est née à Paris en 1957. Fred est le diminutif de Frédérique. Vargas est son nom de plume pour les romans policiers.
Sa soeur jumelle, Jo, peintre, a également adopté ce pseudonyme de Vargas, et c'est même elle qui la première le trouva, l'empruntant au personnage joué par Ava Gardner dans la Comptesse aux Pieds Nus. Pendant toute sa scolarité Fred Vargas ne cesse d'effectuer des fouilles archéologiques ; après le bac elle choisit de faire des études d'Histoire. Elle s'intéresse à la préhistoire, puis choisit de concentrer ses efforts sur le Moyen Âge. Actuellement ses recherches d'historienne-archéologue portent sur les ossements animaux du Moyen Âge. Quand elle parle de sa formation, la personnalité et l'enseignement de son père y tiennent un rôle déterminant. Elle a débuté sa "carrière" d'écrivain de roman policier par un coup de maître. Son premier roman Les Jeux de l'Amour et de la Mort , sélectionné sur manuscrit, reçut le Prix du roman policier du Festival de Cognac en 1986 et fut donc publié aux éditions du Masque. Fred Vargas, mère d'un petit garçon, vit à Paris.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fred_Vargas

Que voulez-vous que je vous dise ? Je suis née de père et de mère, c'est déjà ça de pris. Sachez que mon frère aussi est né de père et de mère, c'est une tradition dans la famille, chacun son truc. Je n'étais pas toute seule dans l'oeuf, ma soeur jumelle était là qui m'a tenu compagnie dans le petit habitacle maternel durant huit mois. Elle est née dix minutes avant moi, c'est là un détail passionnant, et puis j'ai suivi. Nous voilà donc dehors, à Paris, un 7 juin, qu'est-ce qu'on va faire ? C'est passionnant. On nous noue d'urgence des bracelets de couleur aux poignets pour ne pas nous confondre. On nous prénomme : Joëlle pour ma jum' (qu'on appelle aussitôt "Jo" par flemme, certainement) et Frédérique pour moi (qu'on appelle illico "Fred" par flemme, je suppose). Mon frère Stéphane avait été nommé "Steph" par flemme, je présume. Dans la famille, on est assez économe sur les prénoms, chacun sa manière. Quand je vous dis que tout cela est passionnant, vous voyez que je ne vous raconte pas des blagues.


Je ne me suis pas quittée, avec ma jumelle, si vous me suivez bien. Tout ce qu'elle savait faire, je ne le faisais pas et vice-versa. Ainsi, pas de rivalité en vue, et une grosse économie d'énergie, une astuce formidable. Si bien que je suis devenue à moitié compétente dans les choses de la vie, et elle de même. Je poursuis cette histoire qui, je la sais, vous tiens en haleine : Jo s'est mise à peindre très tôt, j'ai lâché le crayon aussi sec. Sans vocation, j'ai tourné coté sciences, archéologie médiévale. Je suis toujours archéologue, et ma sour est toujours peintre. Je discute ses tableaux comme elle corrige mes textes. Ah oui, le polar, j'oubliais. Pour me divertir de temps à autres du Moyen Âge, je voulais faire de l'accordéon (si vous avez suivi la logique de cette époustouflante histoire, vous aurez déduit finement que ma jumelle était portée coté musique classique, et donc, moi, accordéon). Je me suis acharnée sur cet instrument pendant dix ans, avec une absence de talent stupéfiante. Un beau soir, émergeant d'un chantier de fouilles, j'ai trahi mon accordéon, qui me le rendait bien, et j'ai fait l'acquisition d'un cahier propre et d'un feutre neuf pour écrire un polar. Allons-y. J'ai continué.
Un autre beau soir, ma sour m'a dit : "Pourquoi écris-tu ?". Et j'ai fait cette réponse, devenue historique : "Je ne sais pas". Je ne sais toujours pas. Pas mal, non ?


Un commentaire supplémentaire :
Si nous n'avez pas eu encore le bonheur de découvrir Fred Vargas, alors n'hésitez plus. Plongez sans tarder dans son univers poétique, décalé, et résolument contemporain. Laissez vous porter par son style aérien et ses personnages, tous plus attachants les uns que les autres, depuis les trois "évangélistes" déjantés aux noms d'empereurs des débuts, jusqu'au phénoménal commissaire Adamsberg, flanqué de son alcoolique adjoint Danglard ;je vous passe la myriade de "seconds rôles" qui s'imisce au fil des pages. Quant aux intrigues, elles évitent les habituelles "références américaines" et les tueurs en série (une exception) pour rajeunir un polar français à qui Fred Vargas fait beaucoup de bien. On aime énormément !
Toujours plus... :
Fred Vargas a bien un éditeur (Viviane Hamy) et cet éditeur a bien voulu construire un site Internet (il paraît que c'est obligatoire aujourd'hui) mais a un peu oublié d'y mettre un contenu. On y trouvera quelques jaquettes et les quatrièmes de couverture des éditions originales, mais rien de plus.
Consolez-vous en lisant cette interview de Fred Vargas réalisée en novembre 2004.


https://web.archive.org/web/20050227103028/http://polarnoir.neuf.fr/Vargas/Vargas_accueil.htm#haut