Le petit Simenon illustré
Des nouvelles de Simenon mises en scène par des dessins du
peintre et auteur de bandes dessinées français Jacques de
Loustal. Une approche originale qui nous permet de (re)découvrir
certains récits peut-être moins connus qui prennent ici une autre
dimension grâce à ces illustrations toujours justes dans des
petits formats économiques qui les rendent abordables à toutes
les bourses, ce qui n'est jamais à négliger.
Jacques de Loustal, réputé pour ses couleurs et son goût
pour les êtres à la psychologie paradoxalement sombre, surprend
tout son monde par la profondeur de son travail en noir et blanc.
Une approche qui s'adapte divinement à l'univers de Simenon.
Loustal aime et respecte l'œuvre du maître belge. Une admiration
qui transpire de chacun de ses dessins.
J'ai toujours aimé Simenon, explique Jacques de Loustal. Mais
j'étais moins attiré par les Maigret. C'était le côté énigme
policière qui me gênait. Cette gymnastique littéraire doit,
immanquablement, amener à la découverte de l'assassin dans le
dernier chapitre. Je trouve cela un peu rébarbatif.
Pourtant, l'auteur s'est coulé avec une belle aisance dans
l'univers complexe de Simenon. C'est parce que je connais bien son
oeuvre et que je l'adore. Mais c'est vrai que j'étais plus attiré
par ses romans que par ses Maigret. Simenon est un tout grand. Je me
retrouve dans son univers noir et sans compassion. J'avais
d'ailleurs tenté une première approche de cette couvre alors que
Simenon vivait encore. L'expérience n'a pas abouti pour des raisons
financières. Ensuite, c'est la belle fille de Simenon, Mylène
Demongeot, qui m'a contacté pour me proposer une collaboration. C'était
une belle surprise que je n'ai pas voulu laisser passer.
Une première collaboration et née. En couleurs et sans grand succès. Les
albums étaient trop chers et mal distribués, explique
l'illustrateur. Mais un éditeur a vu le travail et a été séduit.
Le projet d'illustrer des Maigret est donc né ainsi.
Même si Maigret n'était, de prime abord, pas sa tasse de thé, Loustal
s'est laissé convaincre. En relisant les nouvelles que l'on me
proposait d'illustrer, j'ai découvert que l'univers de Simenon
demeurait le même, qu'il s'agisse de Maigret ou de ses autres
romans. J'ai donc replongé avec délectation dans son style, j'ai
été emporté par ses ambiances et ses personnages. L'enquête
policière devenait tout à fait secondaire, voire inexistante.
Outre la rencontre entre l'univers de Simenon et la patte de
Loustal, ce qui surprend le plus dans ce travail, c'est l'absence de
couleurs tant l'illustrateur s'est bâti un univers coloré avec une
gamme très personnelle. C'est vrai que je suis connu pour mes
couleurs et pourtant j'adore le noir et blanc. Ce que vous voyez
dans ces nouvelles n'est rien d'autre que mon travail habituel avant
la mise en couleur. Je travaille mes planches comme si elles
devaient demeurer en noir et blanc. Je joue beaucoup sur la lumière.
C'est passionnant.
Illustrer un Maigret peut toutefois relever de la gageure tant
le personnage a été marqué par certaines interprétations cinématographiques.
Exact. Il a tellement de visages que je me suis posé beaucoup de
questions avant de me lancer dans ce projet. Puis, lorsque j'ai
pris le crayon, les traits sont apparus d'eux-mêmes.
Naturellement.
Il faut aussi reconnaître que le bon Jules n'est pas le
personnage principal des illustrations de Loustal. Peut-être parce
qu'il est trop connu. Ce qui m'intéressait, ce n'était pas de
faire un nouveau Maigret à la Loustal. Ce qui me fascine, c'est
toute l'oeuvre de Simenon et je voulais me mettre au service de
cette écriture. Maigret n'apparaît pas toujours, il est souvent
suggéré. L'essentiel, c'est l'univers de Simenon. Ce sont les mots
-parfois terribles - qui comptent le plus. Maigret n'est qu'un des
acteurs de cette pièce.
En relisant certains épisodes, on se rend aussi compte que
l'image traditionnelle du Maigret avec son chapeau mou et la pipe
au coin de la bouche, telle qu'elle a été immortalisée au cinéma,
n'est pas nécessairement celle que présentait Simenon. J'ai même
lu une nouvelle dans laquelle son Maigret était chaussé de
sabots, sourit Loustal. Mais, pour moi, il était impossible de le
représenter de la sorte. Dans une nouvelle, plus ancienne,
Simenon le coiffe encore d'un chapeau boule. En le couchant sur
papier, j'ai remarqué que je ne pouvais le dessiner ainsi parce
qu'il n'est jamais entré dans mon imaginaire avec ce type de
couvre-chef. Au début, je pensais que cela allait choquer le
lecteur de le voir avec cette tête alors qu'il était décrit
différemment
dans les pages de la nouvelle. Finalement, je remarque que je ne
suis pas le seul à m'être bâti cette image du policier et tout le
monde admet mon interprétation.
Quatre nouvelles (*) ont été mises en images par Jacques de
Loustal au rythme de deux par an. Ça me convient parfaitement
comme rythme. D'autres textes sont en préparation et Loustal semble
bien installé dans cet univers. Le vicomte Jacques de Loustal au
service de l'oeuvre de Simenon, un couple qui peut apparaître
paradoxal mais qui séduit par sa profondeur et son harmonie.
Hubert Leclercq
*) Simenon illustré par Loustal: On ne tue pas les pauvres
types, Le client le plus obstiné du monde, Menaces de mort et Ceux
du grand café, Édition Omnibus. Collection Carnet.
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