En 1991, le dessinateur Jacques
de Loustal et le romancier Jérôme Charyn publiaient Les
Frères Adamov, leur première bande dessinée en commun.
Aujourd'hui, ils récidivent avec White Sonya. Une
histoire plutôt noire, illuminée par un personnage de femme
qui cherche en vain à échapper à la fatalité, sur fond de
Bronx et de Little Odessa.
EPOK
Comment est née White Sonya?
JACQUES DE LOUSTAL
Charyn m'a proposé une nouvelle originale d'une
quinzaine de pages. Le texte m'a emballé, je n'arrivais pas à
te lâcher! J'y ai trouvé une succession de bonnes scènes avec
d'excellents dialogues, et la dimension cinématographique du
scénario m'a séduit.
JÉRÔME CHARYN
J'ai écrit ce texte il y a quelques années.
J'étais assez fasciné par l'idée d'un personnage de femme en
prison, avec des cheveux courts... Quand je travaille sur un
scénario, je pense souvent à l'image: là, il m'a sembIé que
Loustal, avec son trait très stylisé, était le dessinateur
idéal.
C'est une histoire plutôt
sombre...
LOUSTAL Comme
toujours avec Charyn! C'est aussi le genre noir qui veut ça.
CHARYN Notre
fin de siècle est pessimiste... C'est une histoire dure et
très lyrique, avec une touche de poésie.
À la fin du récit, Sonya
retourne en prison. Pourquoi ne
pas lui avoir laissé une chance?
CHARYN La
vraie famille de Sonya, c'est la prison. Une sorte de fatalité
pèse sur elle, comme celle qu'on retrouve dans une tragédie
grecque.
LOUSTAL Le
seul moment de l'histoire où elle sourit, c'est lorsqu'elle
retrouve ses copines de prison. Ce n'est pas à la gloire de la
réinsertion...
Vous ne développez pas beaucoup la psychologie
des personnages...
LOUSTAL Nous
avons fait le choix de privilégier l'action et de ne pas trop
approfondir leur psychologie.
CHARYN Elle
est juste esquissée, comme s'ils portaient un masque grec. Le
plus important, en BD, c'est de se concentrer sur les images:
si elles fonctionnent, elles ont l'effet d'une bombe. Il faut
simplifier le plus possible.
Comment s'est déroulée votre collaboration?
LOUSTAL J'ai
apporté quelques modifications mais je n'ai pas touché au fond
du scénario. Charyn accorde une grande liberté au dessinateur.
CHARYN Je
laisse le dessinateur décider du type de narration, avec des
textes "off" ou des dialogues. Et je respecte toujours son
choix. Je préfère écrire un scénario pour la bande dessinée
plu tôt que pour le cinéma : là relation écrivain dessinateur
est plus dynamique. C'est un vrai mariage.
On retrouve les Ingrédients
habituels de Charyn :
le roman noir, le Bronx, les Immigrés
russes... Quel a été l’apport personnel de Loustal?
Loustal
J'ai eu envie de dessiner le Bronx des années 70. Charyn m'a
emmené en balade dans New York, il m'a raconté les quartiers
de son enfance. Mais le Bronx de sa jeunesse a disparu, et
celui que j'ai vu n'est pas celui que je voulais montrer :
aujourd'hui, on trouve plutôt des HLM... J'aime les paysages
urbains exceptionnels, très graphiques, et je n'ai pas
retrouvé le Bronx des années 70, qui ressemblait à Beyrouth...
J'ai donc travaillé d'après des photos et des films de cette
époque.
CHARYN Le
quartier a changé, mais pas tant que ça. Il reste pour
l'essentiel très pauvre et très triste, avec une grande force
d'hallucination. C'est un monde à part...
Loustal, c'est votre album le
plus classique: on y trouve plus d'action que d'habitude...
LOUSTAL
Je tiens à ce que chaque nouveau livre soit une
expérimentation technique ou narrative. White Sonya est
l'une des histoires les moins littéraires et les plus
cinématographiques que j'ai dessinées. Il y a beaucoup de
dialogues mais aucun texte "off".
N'y a_t_il pas une certaine
facilité à se reposer sur un
scénariste plutôt que d'écrire vos propres scénarios ?
LOUSTAL
Je fais de l'image, alors que Charyn est un vrai raconteur
d'histoires. Je ne me considère pas comme un auteur complet de
BD. Ce qui m'intéresse, c'est le rapport entre l'image et le
texte, le découpage, la mise en scène : comment amener une
séquence, cadrer, passer d'une image à une autre...
Vos projets?
CHARYN
Je prépare un roman sur les relations de Staline avec les
artistes dans les années 30. Il y avait une am biguite
fascinante chez lui : c'était un homme horrible, un vrai
méchant, mais en même temps il adorait la littérature Il a
recruté plusieurs de ses espions parmi les écrivains...
LOUSTAL J'ai
toujours en tête d'adapter Simenon, à la manière de ce que
Tardi a fait avec les bouquins de Léo Malet. Mais ce ne serait
surtout, pas un Maigret. Plutôt un roman de la destinée, comme
ses romans coloniaux. Ce serait encore une histoire pas très
drôle... Mais je n'aurais pas le problème de savoir ce que je
vais raconter.
PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE QUILLIEN