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2014 L'Express: Loustal, globe-croqueur

N° 3282 / 28 mai 2014

p.92-93-94
https://boutique.lexpress.fr


http://www.lexpress.fr/culture/livre/loustal-globe-croqueur_1547453.html

 


Loustal. globe-croqueur

Le peintre de l'immobilité est un voyageur infatigable. Il publie ses carnets de route. Un tour du monde illustré qu'il prolonge pour L'Express en retraçant l'histoire de cinq de ses dessins. Bon vent!

Le voyage prime tout. Un dessin peut attendre, le voyage, lui, ne se représentera pas. » Démonstration immédiate : alors qu'il rentre à peine de Miami, où il a encore une fois admiré le quartier Art déco, avec ses hôtels années 1930, Jacques de Loustal, dit Loustal, tout juste 58 ans, repart illico pour Brasilia, invité par l'Institut français pour dessiner des «jardins publics et secrets » :« Comment refuser? » Une petite semaine, donc, dans son superbe atelier du quai de la Seine, dans le XIX' arrondissement de Paris, histoire de livrer quelques dessins (à Vanity Fair) et quelques imprimés (à la direction des Impôts), et puis s'en va. Illustrateur, peintre majeur et maître narrateur, l'auteur (avec Philippe Paringaux) de Barney et la note bleue et de Jolie mer de Chine (avec Jean-Luc Coatalem) partage depuis des lustres ses « impressions de voyage » avec ses admirateurs sédentaires. Et publie, cette année, à la Table ronde, le fruit de quatre années de voyage, Esprits d'ailleurs, un superbe album (au format à l'italienne), révélateur de la large palette (plume, fusain, crayon, pinceau, feutre...) du dessinateur-voyageur. Qui l'eût cru? Jacques de Loustal, le jeune étudiant en architecture qui fit ses premières armes à Rock & Folk, Métal hurlant et (A suivre), est fils de l'armée. C'est auprès de son père, général d'aviation puis «VRP » pour Dassault, et de son grand-père maternel, militaire aquarelliste en Chine, qu'il prend goût aux voyages. Quelques échappées belles
en Méditerranée, la traversée initiatique des Etats-Unis avec Greyhound, la coopération au Maroc (« C'est le seul moment où, pendant un an et demi, j'ai exercé l'architecture, de façon très théorique »), et l'auteur de Kid Congo d'entamer ses tours du monde. «A partir du moment où je ne connais pas un endroit, cela justifie le déplacement. Par ailleurs, lorsque j'ai le choix, je reviens rarement sur mes pas », signale le globetrotteur, qui ne hérisse pas sa mappemonde de petits drapeaux, mais conserve soigneusement tous ses passeports remplis de visas exotiques. Les pays s'égrènent, souvent au gré des invitations. Une fois qu'il a été estampillé dessinateur-voyageur — son premier « Carnet de voyages », suscité par Etienne Robial, de Futuropolis, date de 1990 — Loustal a été convié par nombre d'instituts français. Le principe est simple : en échange du séjour, il effectue quelques interventions et (ou) une résidence, durant laquelle il exécute de multiples dessins — sa chambre d'hôtel se transforme alors en atelier —qui seront exposés la veille de son départ. Il adore ça. Il a même remplacé au pied levé, dans les années 1990, à l'occasion d'une exposition itinérante intitulée Ça, c'est la France, des auteurs comme Tardi et Bilal, à Rio et à Mexico. Ils étaient douze à avoir participé à cette expo, présentée dans le monde entier durant un an. Et puis, il y eut la vogue des dessinateurs reporters. Bilal parcourt alors le monde, carton à dessins sous le coude, pour Grands Reportages et Géo. A ce rythme-là,peu de pays lui échappent (curieusement,lAustralie manque à l'appel), mais tous ne lui agréent pas.
Avec l'Inde, ce fut un rendez-vous raté : «J'y ai fait un seul voyage, au Rajasthan, et, chose rare, je n'ai rien dessiné. Il est vrai qu'à l'époque, j'avais envie d'arpenter les pays les plus désertiques possible... Trop de monde, donc. Peu de temps après, je suis allé en Namibie, le rêve ! » C'est qu'en voyage, ce nomade à la main d'or ne va pas vraiment vers les gens. Loustal est un contemplatif, comme en témoignent ses dessins — de véritables tableaux à la Hockney ou à la Hopper. « Pour moi, confie-t-il, chaque coin de rue est un paysage nouveau. Je suis en perception maximale, je m' assois et j'écoute le bruit de la plume sur le papier. » Pourtant, depuis peu, rompant avec l'orthodoxie du dessin de voyage fait sur place — qui nécessite du temps, la bonne météo... —, Loustal trace un croquis ou, plus souvent, photographie puis travaille, le soir, à partir de ses clichés. « C'est ça, la liberté. Liberté de choisir son paysage, liberté de composer ses livres, qui sont juste l'addition du plaisir de dessiner et de celui de voyager », conclut-il, avant de commenter pour L'Express quelques-uns de ses dessins et de s'envoler pour le Brésil, Sans ballon.

Le Figaro, 22 May 2014, French,Page: 45
JACQUES DE LOUSTAL a beaucoup voyagé et pas seulement autour de sa chambre

  

 

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Pour moi, chaque coin de rue est un paysage nouveau. Je suis en perception maximale, je m'assois et j'écoute le bruit de la plume sur le papier »

Polynésie « C'était il y a deux ans, en mars. Je voulais absolument retourner en Polynésie. J'étais déjà venu aux Marquises, dans les années 1990, envoyé par Géo sur les traces de Gauguin. Cette fois, je souhaitais découvrir la Polynésie côté lagon. Me voilà, avec ma femme, à Bora-Bora et à Moorea. Bien sûr, j'ai pensé à Simenon - j'ai illustré il y a quelques années Touriste de bananes (écrit en 1937), et j'ai fantasmé à l'époque sur ce pays et sur son arrière-cour. A mon retour, j'ai voulu revoir Tabou, le film que Murnau a tourné à Bora-Bora. Ce dessin représente le premier choc, lorsque vous débarquez après avoir emprunté différents avions, puis un avion à hélice et enfin un bateau. Avant même d'entrer dans notre chambre, je tombe sur cette piscine bleue, avec ces gens qui ne se parlent pas, une embarcation à l'horizon. Tout de suite, je vois le côté très graphique de cet instantané, sa construction géométrique. J'ai pris une photo et ne me suis mis au travail qu'une fois de retour dans mon atelier; à Paris. »


Algérie «En 2012, j'ai été invité par l'Institut français pour une résidence à Constantine - les conseillers culturels remplissent ainsi leur programmation, moi je ne coûte pas trop cher, moins cher qu'un orchestre. C'était mon premier séjour en Algérie. J'ai été un peu surpris, le soir, je ne pouvais pas sortir de mon hôtel et, dans la journée, j'étais flanqué de gardes du corps. Pas totalement inutiles d'ailleurs, car j'y ai échappé à un attentat- épisode que j'ai relaté dans la revue Long Cours. On était sur une côte très paumée, et magnifique, vers Collo. Au retour; une petite bombe artisanale a explosé sous la voiture de notre escorte. Les gendarmes ont répliqué, puis il a fallu • attendre qu'on sécurise le périmètre... Après coup, bon, c'est un souvenir, mais j'aurais détesté être enlevé. On m'a rassuré: "Ici, ils n'enlèvent pas, ils tuent." Pour les besoins de ce dessin sur ce marchand de voiles, au pied de la rue Dar-el-Bey, j'ai pris une petite photo rapide, avant de composer le soir. Les nuits étaient longues, j'étais bien content d'avoir une vingtaine de dessins à effectuer »



Suisse « Encore une résidence, en Suisse, à Lucerne, à l'occasion de leur festival de BD. Chaque année, un dessinateur est logé à l'hôtel Schweizerhof, pendant dix jours. Il doit livrer quotidiennement un dessin, avant 20 heures. Le Schweizerhof, où descendaient Wagner et Louis 11 de Bavière, est un concentré de luxe helvétique. J'y étais avec ma femme, d'où la présence féminine (la chaussure) qui apparaît sur ce dessin de ma superbe chambre donnant sur le lac. C'est l'ceuvre du premier jour, exécuté au lavis d'encre pour la lumière. Le pays est fascinant, et le séjour fut agréable, gentiment ennuyeux... »


Afrique du Sud « J'y ai accompli un périple de 4 000 kilomètres en voiture lors de I' "année de la France" en Afrique du Sud. J'avais un peu d'appréhension, mais je suis plutôt du genre fataliste... En fait, tout s'est bien passé. Le Cap, le Karoo, Port Elizabeth, puis la côte est et l'océan Indien:quel pays, avec ses espaces sans fin et le poids de l'apartheid! J'y suis retourné trois fois depuis, pour des vernissages. Cette image m'a sauté aux yeux. Je roulais depuis des heures dans le parc du Karoo lorsque j'ai vu, au loin, se découper cette silhouette. Un tableau intemporel, avec son éolienne, son puits et sa maison fatiguée par les années. J'ai juste ajouté le chien, pour l'"habiter" ».


Etats-Unis, Utah « Chaque séjour aux Etats-Unis provoque un écho artistique, qu'il soit cinématographique, photographique ou littéraire. Dès que je m'arrête dans une station-service déserte avec une petite nana à la caisse, sorte de Lolita tatouée, au milieu de nulle part, c'est du roman. L'année dernière, en mai, j'étais donc dans l'Utah, ce qui répond à mon goût actuel pour les grands espaces. En voyant ces paysages merveilleux, je pensais aux photos de l'Américain Ansel Adams, tandis que la ville fantomatique de Cisco m'a rappelé, elle, le film de Richard Sarafian, Point limite zéro, que j'ai dû voir une dizaine de fois. Pour ce "road-trip", nous sommes partis avec le dessinateur André Juillard et sa femme, avec lesquels nous partageons le même regard. J'ai pris beaucoup de photos en noir et blanc, et j'ai souvent dessiné au fusain, ce qui permet une interprétation graphique intéressante du ciel bleu et de la terre rouge. Ce dessin, en couleurs, lui, est une composition à partir d'un paysage vers Capitol Reef, avec, au premier plan, une voiture d'époque, vue à l'écomusée du coin, et, au loin, une ferme, un cheval, sur fond de rocher aux différentes strates de couleur »


Esprits d'ailleurs, par Loustal. La Table ronde, 35 E.

 

 

Le Figaro, 22 May 2014,Page: 45
JACQUES DE LOUSTAL a beaucoup voyagé et pas seulement autour de sa chambre, comme jadis Xavier de Maistre. Il a connu la mélancolie des paquebots, le tac-tac-tac des wagons-lits, le vrombissement des long-courriers.