2011 Jacques de Loustal du9
"l'autre bande dessinée"
Jacques de Loustal
par Pilau Daures
Jacques de Loustal, dit Loustal, est illustrateur et auteur de bande
dessinée. Au fil d’une carrière de plus de trente ans, Loustal a su rester
un dessinateur contemporain et actuel, qui réussit à être présent tout en
sillonnant le monde. Artiste fréquemment exposé pour la grande qualité
graphique et la puissance sensible de ses images, Loustal a montré toute sa
vie un constant désir de voyage et de rencontres, ce qui en a fait un
partenaire idéal des institutions chargées de promouvoir la culture
française à l’étranger.
PILAU DAURES : Pouvez-vous me parler des expositions de l’AFAA[1] pour
lesquelles vous étiez sollicité ?
JACQUES DE LOUSTAL : Il y a eu une grosse exposition, en 1992, pour laquelle
l’idée était d’exposer douze dessinateurs (un par mois) et de faire des
expositions dans de nombreux instituts français en montrant une exposition
plus précise d’un des douze, accompagnée d’une exposition collective des
onze autres, avec cinq ou six pièces de chacun. On a pas mal voyagé comme
ça, effectivement. C’était une opération d’assez grande envergure, parce que
c’était des originaux, donc il y avait des transferts des œuvres. C’était
vraiment la grande époque de l’AFAA où ils promouvaient beaucoup
l’illustration ; c’était l’époque de Jean Digne, et c’est vrai que dans tous
ces centres culturels, il y avait un assez bon accueil de l’illustration, de
la bande dessinée, enfin du mode narratif, comme vecteur de la langue
française. De nos jours c’est moins fréquent, ils font des installations
d’art contemporain, je ne sais pas si ça a le même impact…
PLD : Vous avez souvent accompagné ces expositions ?
JDL : C’est-à-dire que moi j’adore voyager, donc déjà j’ai accepté de
remplacer des gens au pied levé, parce qu’il y a pas mal de dessinateurs
qui, finalement, n’aiment pas tellement voyager, curieusement… C’est comme
ça que j’ai pu aller au Brésil, au Mexique, et puis je suis allé à
Reykjavik. Je crois que j’ai fait trois déplacements en accompagnant cette
expo.
PLD : Dans ce cadre, quel était votre rôle d’auteur-dessinateur ?
JDL : Il fallait faire une présentation de l’exposition, une petite
conférence sur la bande dessinée, sur mon expérience, des échanges avec la
presse… Ce sont des choses que j’ai beaucoup continué à faire, mais à titre
individuel, dans les instituts français. Là, en novembre j’étais à Tôkyô et
à Kyôto. Là aussi, je fais des expositions, mais j’ai depuis peu proposé
autre chose : des résidences. Ce sont des séjours que je fais, d’une
quinzaine de jours sur place, je dessine beaucoup, et j’expose les dessins
que j’ai faits, la veille de mon départ. Mais c’est plus du dessin fait sur
place, du dessin de voyage, que de la bande dessinée.
PLD : C’est une autre forme d’exposition qui s’apparente plus à la
conclusion d’une séquence de création qu’à une rétrospective sur une œuvre
passée.
JDL : Oui, mais évidemment, en accompagnement de ces résidences, il y a
forcément une petite expo qui a lieu dans les médiathèques ou les instituts
français ou des choses comme ça.
PLD : Sur ces résidences, qui est commanditaire, Cultures France ?
JDL : Non. Dans les années 90, 2000, il y avait des budgets du côté de
l’AFAA, mais de nos jours, c’est plus décentralisé : ce sont les instituts
qui me font venir ; ils se débrouillent avec des budgets locaux et des
partenaires locaux. Par exemple au Japon, une partie de mon voyage était
payé par les universités parce qu’ils faisaient des petites conférences ou
des workshops, des choses comme ça. J’ai fait cela aussi à Essaouira il n’y
a pas très longtemps, où c’était combiné avec des partenaires de l’Alliance
française sur place. Quand je fais des déplacements, ce n’est plus du tout
dans les mêmes conditions. L’AFAA n’intervient plus systématiquement, et du
coup, il n’y a plus les mêmes moyens pour faire des expositions d’originaux,
c’est-à-dire avec un transporteur, avec un budget d’assurance. La dernière
très grosse exposition que j’ai fait comme ça avait tourné dans toute
l’Amérique du sud, en 95-96 : j’avais fait beaucoup de peintures, des
croquis, des choses comme ça, et ça a été exposé dans les alliances
d’Argentine, Chili, Equateur… Pour faire cela, il fallait un transporteur
spécial, des caisses spécialement réalisées à la taille de mes peintures,
qui étaient exposées au Musée des Beaux Arts de Santiago. C’est une époque
révolue : comme le système a changé, je propose des expositions de
multiples, des lithos, des sérigraphies. Je viens avec, dans mes valises,
avec un tube et il n’y a aucun problème d’assurance. Ça permet de faire une
exposition, ça permet aussi de bien occuper un espace, parce que c’est en
général assez grand et assez coloré. Maintenant, c’est un peu comme ça que
ça se passe : ça, et les dessins que je fais sur place. Ça s’accompagne
aussi d’une série de conférences. J’ai proposé ça parce que je n’aime pas
tellement faire des interventions en milieu scolaire.
PLD : En dehors de ces résidences, vous avez fait l’objet de plusieurs
expositions. Quels sont les enjeux d’une exposition de vos travaux ?
JDL : Les grosses expositions, ça permet de faire des sortes de
rétrospectives, de montrer l’ensemble du travail, de montrer des originaux.
Personnellement, j’aime bien aller voir des expos où il y a des documents
originaux, comme celle d’Hugo Pratt en ce moment à la Pinacothèque[2] où il
y a des pièces absolument magnifiques. Moi j’aime bien montrer ça. J’ai eu
la biennale de Cherbourg,[3] il y a quelque temps, et là c’était un vrai
travail avec les commissaires d’exposition. En plus j’y ai fait une
résidence donc il y avait une création liée à cette expo : une dizaine de
grands fusains dans les bunkers de Cherbourg. Là j’en ai une en préparation
au Musée des Beaux Arts de Mulhouse… A chaque fois qu’on me propose ça, je
ne vois vraiment pas de raisons de refuser : c’est une mise en valeur de mon
travail, ce sont des choses qui ne sortent jamais de mon atelier et que je
montre. Evidemment, il y a la promotion, il y a une vente de livres au
moment de l’exposition, mais c’est toujours très négligeable.
PLD : Donc c’est avant tout un plaisir ?
JDL : Tout dépend de la mise en valeur du travail et du lieu. Evidemment
quand ça me donne l’occasion d’aller voyager à l’autre bout du monde, c’est
encore mieux. Mais quand c’est dans un joli musée, quand c’est une
exposition qui dure plusieurs mois… Là, je vais avoir une exposition à
Lucerne, au Fumetto,[4] où, tous les ans, un artiste est invité en résidence
: je dois faire un dessin par jour en passant dix jours là-bas. Là il y a un
commissaire d’expo qui regarde ce que je fais et c’est lui qui définit une
identité à l’exposition en choisissant un certain nombre de pièces et pas
d’autres.
PLD : Comment se passe ce travail avec un commissaire d’exposition ?
JDL : En général je le laisse dans mon atelier, il regarde tout, il regarde
ce qui l’intéresse, il demande d’autres choses dans le même esprit.
PLD : vous vous impliquez dans la scénographie ?
JDL : Moi personnellement, je ne m’en occupe pas : ce n’est pas mon travail,
je ne connais pas les trucs… J’ai toujours l’impression qu’il y a dix mille
façons de les présenter alors j’ai tendance à faire confiance et à arriver
la veille du vernissage.
PLD : Qu’est-ce qui vous paraît le plus propice à exposer, des planches
originales, des carnets, des dessins isolés… ?
JDL : A mon avis, tout : les planches de bande dessinée, il y a des gens qui
aiment bien, surtout quand c’est de la couleur directe ; il y a aussi tout
un marché autour de l’illustration : moi j’en achète, j’en échange, j’aime
bien avoir des illustrations bien encadrées… parfois je montre un peu du
travail préparatoire, mais ça c’est un type d’exposition un peu plus
didactique ; et il y a aussi les peintures, les grands formats. J’essaie que
les expos aient une certaine cohérence : soit on montre uniquement le
travail de bande dessinée, soit on montre quelque chose autour de la
musique, soit on ne montre que les peintures, ou que les fusains. Ou alors,
si c’est très grand il faut faire en sorte d’avoir des sections différentes
pour chaque type de pièce exposée.
PLD : Quel est le rapport qu’entretient l’exposition de bande dessinée avec
le livre ? Diriez-vous qu’il s’agit de deux facettes d’une même œuvre, de
deux œuvres distinctes, d’une œuvre principale déclinée dans une forme
secondaire ?
JDL : C’est une déclinaison. Pour moi, cela n’a pas le même intérêt qu’une
exposition où je présente des choses inédites qui ont été faites pour un
accrochage. C’est une sorte de lancement du livre. Quand j’expose des
planches originales d’un livre qui vient de sortir, c’est dans l’idée de
créer un petit évènement autour de la sortie du livre, qui permette au gens
de voir le travail… Non, ce n’est pas une œuvre à part, c’est une
déclinaison, un bonus.
[Entretien réalisé par téléphone le 21 mars 2011.]
Entretien par Pilau Daures en mars 2012 |
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